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Économie

La production mondiale du surplus

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État

Les économies structurent les civilisations

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Monnaie

La monétisation
des routes de la soie

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Banque

La bancarisation dématérialise la monnaie

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Finance

Les révolutions préparent la financiarisation

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Industrie

L'industrie du littoral Atlantique Nord

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Asie

Décolonisation
de
l'après-guerre

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Énergie

La problématique énergétique de la globalisation

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Libre-échange Trust & konzern WWI WWII


Libre-échange


Dès le XIX ème siècle, les industries de l’Atlantique Nord commencent à fabriquer en grande série des biens manufacturés grâce à l’énergie mécanique et à une certaine division du travail. Cette métamorphose des économies agraires nécessite la plupart du temps une diffusion massive de monnaies sous la forme de billets de banque adossés à un étalon monétaire dont l’unité de compte correspond à un poids fixe d’un métal précieux. L’Act for the Resumption of Cash Payments reprend alors la convertibilité en or des billets de banque et, ce faisant, une autre facette de la Relation spéciale émerge. Celle où des techniciens anglais installent des machines à vapeur dans les mines d’Amérique du Sud pendant que la Bourse de Londres cote plusieurs centaines d’entre elles, à l’instar de la Compagnie anglo-mexicaine ou de la Compagnie du Pérou. Les banques provinciales britanniques profitent ainsi largement de cette disponibilité en métaux précieux et de l’émission des billets de banque jusqu’à ce que, comme il est souvent d’usage, la spéculation se mue en panique boursière. La vente des actions minières américaines entraîne une conversion en or des billets de banque que le Country Bankers Act de 1826 jugule en interdisant aux banques d’émettre des billets au-delà d’un certain volume nominal. Les investissements spéculatifs britanniques se détournent un instant de Londres pour se reporter sur le financement d’infrastructures industrielles aux États-Unis d’Amérique. Mais les autorités britanniques réagissent en promulguant le Bank Charter Act de 1833 légalisant l’introduction en bourse des banques sous la forme de sociétés par action.

Les finances atlantiques commencent de cette manière à s’intégrer entre elles lorsque l’ordonnance Specie Circular prise par le président des États-Unis d’Amérique Andrew Jackson, contre le vote du Congrès, déclenche une nouvelle crise bancaire l’année 1837. Venant à la suite du retrait des capitaux britanniques, celle-ci impose un paiement en or à tout acheteur de terrains d’État aux États-Unis d’Amérique. Mais la trop faible quantité d’or mise en épargne rend impossible la conversion des billets de banque et plus du tiers des banques américaines ferment les cinq années suivantes. En fait, la situation ne se stabilise qu’à partir du Bank Charter Act de 1844 octroyant à la Banque d’Angleterre un monopole d’émission en quantité égale à ses stocks d’or, lui-même soutenu par la ruée vers l’or australienne et le traité de Guadeloupe Hidalgo concluant la Cession mexicaine l’année 1848. À ce propos, la richesse minière de l’ouest américain était bien connue depuis plusieurs décennies, mais son faible peuplement en avait jusqu’alors contraint l’exploitation. Ce sont les révélations faites au Congrès par le président des États-Unis d’Amérique James Polk qui y attire finalement plus de trois cent mille migrants. Toutefois, cette ruée vers l’or californien, à travers la Piste de Californie ou par la Pacific Mail Steamship Company (une compagnie de navires à vapeur effectuant la liaison entre New York et la Californie), n’est pas unique. Assurément, les quantités d’or extraites en Australie sont comparables aux gisements californiens et attirent un si grand nombre de migrants que la population australienne triple avant la fin du XIX ème siècle.

La moissonneuse de Cyrus Mc Cormick
Un afflux en métaux précieux qui arrive à point nommé pour satisfaire l’énorme besoin en financement d’une industrialisation américaine axée sur la mécanisation agricole. En effet, les machines automotrices de Cyrus Mc Cormick (la moissonneuse mécanique) et d’Hiram Moore (la moissonneuse-batteuse) sont tout à fait adaptées aux vastes espaces du continent américain. Les investissements étrangers y jouent également si bien leur rôle dans la révolution des transports initiée par la locomotive à vapeur de Richard Trevithick, au début du XIX ème siècle, que les premières lignes ferroviaires apparaissent simultanément en Angleterre et aux États-Unis d’Amérique, trois décennies plus tard. La Mohawk and Hudson Railroad, la première compagnie ferroviaire cotée à la bourse de New York, ne tarde pas à être rejointe par d’autres, puisque les compagnies ferroviaires représentent près de 10 % des introductions à la bourse de Londres, quelques années plus tard. Voilà pourquoi le processus primordial d’industrialisation en Amérique s’attache surtout à acheminer par le rail les productions agricoles en direction des ports d’exportation. Et dans ce cas précis, les locomotives associées aux navires à vapeur doublent le volume des marchandises transportées tout en réduisant les temps et les coûts de transport. Par exemple, la compagnie ferroviaire Great Western Railway dessert à partir des gares londoniennes les grands ports britanniques dans lesquels sont amarrés ses navires de la compagnie maritime Great Western Steamship Company. Sa traversée de l’Atlantique prend dix jours de moins que les voiliers et son Great Western, équipé de roues à aubes propulsées par un moteur de sept cent cinquante chevaux-vapeur, s’empare sans mal du ruban bleu en une petite quinzaine de jours. Clairement, cette révolution des transports amplifie les rapports de force nés de la mondialisation du commerce maritime et bénéficie en priorité au commerce transatlantique.

Les profits qu’elle génère finissent même par convaincre les britanniques à s’engager résolument dans le libre-échange. Les Principes de l’économie politique et de l’impôt de l’économiste Ricardo acquièrent comme cela une certaine notoriété en argumentant qu’une nation ne s’enrichit qu’en pratiquant le libre-échange. Pour ce faire, chaque nation doit se spécialiser dans la production où elle dispose, comparativement à ses concurrents, de la productivité la plus forte ou la moins faible. Une théorie puisant ses références dans une première version de l’avantage comparatif formulé par l’économiste Torrens, qui soutenait que le Royaume-Uni obtiendrait davantage de biens agricoles en produisant des biens industriels à échanger. Mais à la différence de Ricardo, et du fait qu’une nation pourrait maximiser les termes de l’échange en sa seule faveur, au cas où elle appliquerait un droit de douane optimal, il n’oubliait pas de préciser que sa théorie exigeait une certaine réciprocité commerciale. Toujours est-il que les libéraux britanniques de l’Anti-Corn Law League, dont l’objectif est d’abroger le Corn Law Act qui prohibe les importations de céréales lorsque les cours passent en dessous d’un seuil plancher, et les Navigations Acts, motivent leur plainte par des considérations bien différentes de leurs ambitions libre-échangistes. Leurs arguments reposent sur l’hypothèse que le maintien des prix agricoles réduirait la demande en produits manufacturés sur le marché britannique tout en contraignant les industriels à payer des charges fixes trop élevées. Bref, ils obtiennent gain de cause et l’on abroge les lois protectionnistes britanniques.

Toutefois, en sacrifiant l’agriculture la plus productive au monde au profit d’une industrie naissante, ces libéraux britanniques initient de facto un autre mouvement économique ; Celui d’une première division internationale de la production. Dès lors, la mécanisation de l’agriculture américaine s’accroîtra à mesure de la diminution de l’activité agricole britannique, qui passera de 20 % à 6 % du P.I.B. dans la seconde moitié du XIX ème siècle, tandis que les soixante-treize mille moissonneuses américaines ne souffriront d’aucune concurrence. Maintenant, les États-Unis d’Amérique peuvent développer des processus logistiques agricoles exclusifs tels que d’énormes silos remuant continuellement un grain mécaniquement chargé dans les navires. Cette mécanisation leur permet d’étendre les bonnes récoltes aux mauvaises années en maîtrisant au mieux les cours de marchés. Le revers de la médaille semblant être pour le Royaume-Uni où la libéralisation économique se réalise sans réciprocité. Sa nouvelle dépendance alimentaire l’oblige d'ailleurs à importer près de la moitié de la production américaine de blé. De plus, sans surprise, compte tenu que la production industrielle mondiale augmente plus vite que la production agricole, l’économie protectionniste américaine peut imposer des tarifs douaniers pour maximiser les termes de l’échange en sa faveur. La diminution des prix industriels se traduit par une plus forte mécanisation de l’agriculture américaine et par une accélération de la demande en produits sidérurgiques tels que les coques de bateaux, les machines à vapeur ou les rails de chemin de fer. Les innovations nécessaires à l’économie de la Corn Belt, telles que le procédé Bessemer d’affinage industriel de la fonte brute breveté l’année 1855, soutiennent de cette manière l’émergence industrielle de la Manufacturing Belt. Notons que le procédé Bessemer produira l’acier américain jusqu’au milieu du XX ème siècle, malgré son incapacité à déphosphorer. Et seules les usines américaines en tireront avantage étant donné que la France ou l’Allemagne ne disposent que de minerais phosphoreux. Ces deux puissances européennes attendront près de trois décennies pour que leur procédé Thomas puisse enfin leur permettre d’exploiter leurs minerais.

L’autre point capital est que la sidérurgie américaine bénéficie du plus vaste réseau de voies ferrées au monde, quand bien même ses cinquante mille kilomètres demeurent géographiquement contrastés. Le réseau des États au sud, qui ne représente qu’un quart du total, symbolisant à lui seul la faiblesse de ces régions. En effet, celles-ci ne regroupent que 30 % de la population et la culture du coton y domine tout autre. Certes, elles produisent plus de sept cent mille tonnes annuelles de coton (soit 80 % de la consommation mondiale), contre à peine quatre-vingt-quinze mille tonnes pour les Indes britanniques et vingt-sept mille tonnes pour l’Égypte, mais l’activité textile américaine ne conserve que 5 % de cette production. L’origine de ces difficultés paraît s’enraciner dans la société à l’exemple du sénateur-planteur Hammond dont l’expression « King cotton » l’amène à négliger les affres du Bleeding Kansas entre les abolitionnistes Free Soilers et les esclavagistes Border Ruffians. Comme lui, la plupart des planteurs américains ne prennent ni en compte l’industrialisation de l’économie mondiale ni son besoin d’innovation. En conséquence, le système esclavagiste freine le développement de l’activité textile américaine, tandis que la production mondiale augmente de 12 % annuellement. À l’opposé, la Cotton Supply Association anglaise, bien consciente qu’un approvisionnement régulier nécessite une solide structure sociale, promeut activement la culture du coton en Inde centrale. Le Government of India Act de 1858 sacrifie cependant l’agriculture vivrière au profit d’un coton à destination des fabriques de textile anglaises au moment où la fondation de la Compagnie Universelle du Canal maritime de Suez, la création d’un réseau ferroviaire indien et la révolte des cipayes contre l’East India Company intensifient l’industrialisation.




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Tous ces évènements concomitants, auxquels s'ajoute l’échec plus spécifique d’une motion esclavagiste, participent au fractionnement du Parti démocrate l’année 1860. Ce qui permet au récent Parti républicain d’Abraham Lincoln, que quelques journaux surnomment déjà «The Rail Candidate», de remporter le scrutin présidentiel américain. Celui-ci n’obtenant que 40 % du vote populaire alors que le total des votes démocrates atteint 48 %. Il faut dire que ces entre-déchirements se manifestaient déjà avant cette élection à travers le vote du Morrill Tariff. Cette disposition fiscale rehaussait le taux moyen des taxes douanières sur les importations et lorsqu’elle fut finalement adoptée, avec le désistement des parlementaires démocrates des États du sud, elle consolida la sécession de ces mêmes États. L’abolition du système esclavagiste n’est donc pas le seul motif de l’union de quelques États en États confédérés d’Amérique. Le président Lincoln le confirme lui-même à son investiture lorsqu’il déclare que « les populations des États au sud semblent appréhender que l’inauguration d’une administration républicaine ne mette en danger leurs propriétés…Il n’y a jamais eu aucune cause raisonnable à de telles appréhensions. La plus complète évidence du contraire a même toujours existé…On la trouve dans tous les discours…Je ne fais que citer un de ces discours lorsque je déclare que je n’ai dessein, ni directement ni indirectement, d’intervenir dans l’institution de l’esclavage dans les États où elle existe…Je n’en ai pas le droit et je ne m’en sens point le désir ». Dans ce cas précis, le président Lincoln prend seulement position en faveur de la restitution des esclaves fugitifs et le Washington District of Columbia, sous l’autorité directe de l’État fédéral américain, demeurera esclavagiste la première année de son mandat. Le District of Columbia compensated Emancipation Act finissant par subventionner une traite négrière abolie depuis plus d’une décennie en rachetant des milliers d’esclaves à Washington DC. L’État fédéral américain encourageant l’expulsion de ces affranchis en ajoutant aux trois cent $ initiaux une prime de cent $ en cas d’exil à Haïti ou en Afrique.

La carte des États de l’Union au Nord et sécessionnistes au Sud

En réalité, c’est tout autre chose, que l’on désigne sous l’appellation «complot de Baltimore», qui nous révèle les débuts du président Lincoln. En résumé, convaincu d’une menace d’assassinat le menant à sa cérémonie d‘investiture à Washington DC, celui-ci fait immédiatement appel à la Pinkerton National Detective Agency dirigée par une de ses connaissances personnelles de Chicago, Allan Pinkerton. Cette association aura une incidence durable sur la sécurité américaine, car cette société la servira encore au XXI ème siècle. Toujours est-il que le président Lincoln lui octroie suffisamment de moyens financiers pour que ses dix mille agents puissent, à la fin du siècle, s’opposer aux mouvements syndicaux naissants jusqu’à se glisser dans des manifestations où ils feront à plusieurs reprises usage de leurs armes à feu contre les forces de police. De curieux évènements, plus qu'anecdotiques, qui nous incitent à brièvement brosser l’histoire d’Abraham Lincoln.

Originaire de New Salem dans l’Illinois, à la frontière de l’ancienne Louisiane française, il fréquenta rarement l’école et limita sa scolarité à la lecture de la Bible. Pendant la guerre de Black Hawk, il fit la rencontre de John Stuart, avocat et représentant à la Chambre de l’Illinois, qui le parraina pour son élection à la Chambre de l’Illinois. C’est donc une fois élu, puis admis comme juriste, que Lincoln accorda un soutien inconditionnel à son futur adversaire à l’élection présidentielle et ardent promoteur des infrastructures de transport : le sénateur démocrate de l’Illinois Stephen Douglas. Tous deux proposèrent en vain d’émettre dix millions de $ d’obligations de l’État de l’Illinois, soit un montant huit fois supérieur au budget de cet État, en achetant et en revendant les terres des États-Unis d’Amérique. Cette campagne, qui se solda par un échec, ne nuisit cependant pas aux affaires professionnelles de Lincoln, puisqu’il acquit une grande notoriété en défendant les intérêts de l’Alton and Sangamon Railroad contre des petits actionnaires, voire en créant des compagnies ferroviaires telles que l’Illinois Central Railroad. Au demeurant, son association avec Stephen Douglas connut le succès lors de la promulgation du Land Grant Act accordant une concession de terres de l’État de l’Illinois à sa société cliente de l’Illinois Central Railroad. Le juriste Lincoln put alors installer ses bureaux à Chicago pour y être l’avocat attitré de la Mississipi and Missouri Railroad chargée de prolonger la ligne ferroviaire entre Chicago et Omaha dans le Nebraska. Cette dernière commune, fondée à la création de la Mississipi and Missouri Railroad, faisait par ailleurs l’objet d’une spéculation foncière, tout comme à Chicago où le comte de Sartiges, ambassadeur de France, rapportait que la ville « toute entière était livrée à une fièvre d’agiotage qui dépassait comme folie ». Ces spéculations foncières s’accompagnaient aussi fréquemment d’escroquerie bancaire et ce fut bien évidemment le cas à Omaha où l’un des premiers bâtiments construits fut la Bank of Florence. Cette «wildcat bank», à qui l’accommodante politique monétaire de l’État du Nebraska autorisait des émissions en grandes quantités de $, gonflait les intérêts de la Mississipi and Missouri Railroad et il n’y eût guère de surprise que sa faillite intervint à l’achèvement de la ligne ferroviaire.

Lincoln y mena sa plus âpre bataille juridique, car le département de la Guerre des États-Unis d’Amérique s’opposait à l’arrêt « Hurd vs. Rock Island Bridge company » confirmant la construction du pont ferroviaire de la Mississipi and Missouri Railroad au-dessus du Mississipi. Le secrétaire d’État à la Guerre Jefferson Davis, le futur président des États confédérés d’Amérique, exigeait effectivement sa destruction au motif qu’il traversait sans autorisation une propriété de l’État. Son action semblait du reste bien fondée, car l’on devait à l’Army topographical Corps la publication des cartes des réseaux de voies ferrées. Pourtant, peu de temps après la victoire de Lincoln à l’élection présidentielle, le jugement de la Cour suprême des États-Unis d’Amérique lui donna finalement tort, avant que les Pacific Railroad Acts de 1862, 1863, 1864, 1865 et 1866 n’octroient des terres aux compagnies ferroviaires et ne donnent un blanc-seing au président Lincoln quant au choix des compagnies dévolues aux travaux du transcontinental. Et, là encore, tandis que l’on désigna la compagnie Central Pacific pour le tronçon occidental, c’est l’Union Pacific, vice-présidée par le propriétaire de la Mississipi and Missouri Railroad et directeur du Credit Mobilier of America qui remporta le marché pour le tronçon oriental. De cette façon, Omaha, qui n’était jusqu’alors que le terminus occidental de la Mississipi and Missouri Railroad, devient le terminus oriental du transcontinental. La seule condition au contrat pour que le gouvernement des États-Unis d’Amérique subventionne les travaux à hauteur de neuf $ quatre-vingt-quatorze/mètre sur terrain plat, et vingt-neuf $ quatre-vingt-trois/mètre en montagne, est de poser annuellement soixante kilomètres de voies ferrées. Les trois mille kilomètres de voies ferrées relieront comme cela l’Atlantique au Pacifique avant la fin de la décennie, grâce à une main d’œuvre au deux tiers chinoise sur le tronçon occidental.

Le tracé du premier chemin de fer transcontinental américain

On ne peut donc nier l’implication personnelle du président Lincoln, lors même que les travaux débutent un an après le bombardement de la garnison fédérale de Fort Sumter, en pleine guerre de Sécession. Dans cette guerre industrielle quasi-asymétrique, la puissance économique de l’Union, qui compte plus de cent mille établissements industriels, doit largement l’emporter sur l’économie rurale des États confédérés d’Amérique. Ceci d’autant plus que l’Union structure un nouveau réseau de voies ferrées qu’elle associe à de puissantes compagnies ferroviaires. En effet, l’incongruité du réseau ferré américain avait jusqu’alors de quoi interloquer, car la plupart des lignes se terminaient en culs-de-sac et une multitude de compagnies concurrentes exploitait des voies de différentes variations d’écartements. Et c'est l’agence United States Military Railroad, aidée de quelques mesures gouvernementales, qui met fin à cette anarchie ferroviaire tout en commandant la fabrication de cinq cent locomotives. Bien évidemment, l’Illinois Central Railroad ou la Pennsylvania Railroad Company profite au mieux de ce dirigisme économique en transportant près d’un million et demi de soldats, des milliers de tonnes de matériel et des casemates blindées équipées de canons lourds.

Un mortier d’artillerie ferroviaire au siège de Petersburg

De son côté, l’armement léger n’est pas en reste et la Springfield Armory impose l’interchangeabilité des pièces afin de faciliter la sous-traitance des armureries artisanales. Son emblématique fusil Springfield Model 1861, dont la portée maximale est de neuf cent mètres, est du reste fabriqué à plus d’un million d’exemplaires, même si la palme de l’innovation revient aux armes à répétitions que sont le fusil Henry et la carabine Spencer. Ces armes d’épaule à chargement par la culasse sont réservées aux armées de l’Union et disposent d’un magasin tubulaire dans leur crosse. Celui-ci contient des cartouches métalliques « 56-56 Spencer » sous la forme d’étuis cylindriques en cuivre mince munis de poudre noire et d’une balle conique en plomb. Le tireur n’a qu’à actionner le levier de sous-garde pour recharger et surpasser la cadence de trois coups par minute des mousquets à chargement par la gueule. Tout ceci sans oublier la célèbre mitrailleuse Gatling, dont la cadence du tir de mille coups par minute combine la fiabilité à la facilité d’alimentation. Des armes massivement fabriquées, puisqu'on dénombrera près de quatorze mille fusils Henry et soixante-seize mille carabines Spencer à la fin du conflit.

Les cartouches métalliques «56-56 Spencer» La mitrailleuse Gatling

Aussi, ces armes à répétition bouleversent les tactiques militaires, notamment lorsqu’elles sont associées au télégraphe. Ce n’est donc pas un hasard si le Railroads and Telegraph Act attribue au président Lincoln les pleins pouvoirs de réquisition sur tous les réseaux ferrés et télégraphiques. Cet assemblage s’explique par le fait que le réseau de voies ferrées, en quasi-totalité à voie unique, exige des voies de dégagement et un système de circulation que seul le télégraphe peut dispenser. Ainsi, l’évolution des communications conditionne l’évolution des transports, toutes deux dépendantes de la fée électricité. Les recherches sur ce dernier phénomène physique, plutôt commun, puisqu'il s’observe aussi bien pour les éclairs d’un orage que pour l’influx nerveux des être vivants, s’étaient longtemps focalisées sur la recherche expérimentale. Le physicien William Gilbert avait publié au XVII ème siècle les premières lois sur ce déplacement de particules à l’intérieur d’un conducteur sous l’effet d’une différence de potentiel à ses extrémités. Puis, les générateurs électrostatiques, tels que la machine de Ramsden, avaient laissé la place aux premières machines électromagnétiques, telles que la machine d’Hippolyte Pixii, qui fonctionnaient sur le principe de la rotation électromagnétique découvert par Michael Faraday. De cette production d’un courant alternatif, à partir d’un passage successif des pôles nord et sud d’un aimant devant une bobine, naissaient les premières applications électriques. Leur principe était du reste relativement simple, à l’instar du télégraphe de Samuel Morse et d’Alfred Vail. En l’occurrence, d’un côté, une pile alimentait un émetteur-interrupteur et, de l’autre, un électroaimant connecté à un mécanisme transcrivait le code sur papier sous la forme d’impulsions brèves ou longues.

La machine électromagnétique d’Hippolyte Pixii Le mécanisme du télégraphe électrique

Ces ingénieurs avait également élaboré un code de transmission des lettres de l’alphabet, de la ponctuation et des chiffres. En fait, leur principal problème était qu’il n’existait aucun réseau électrique et qu’ils restaient tributaires des piles électriques. Une technologie inventée au début du XIX ème siècle avec la pile Volta, dont l’électricité était produite à partir d’un empilement de ronds de drap, de cuivre et de zinc imprégnés d’eau salée. On dut, en conséquence, attendre la pile Leclanché, une pile cylindrique sèche peu coûteuse et adaptée aux usages intermittents, pour enfin assister à l’explosion du réseau télégraphique aux États-Unis d’Amérique. La signature du Pacific Telegraph Act le 16 juin 1860 ayant autorisé la Western Union Telegraph Company à déployer un premier câble transcontinental entre Saint Joseph au Missouri, et Sacramento en Californie. Quant au premier câble transatlantique reliant l’Irlande à Terre-Neuve, il ne fut opérationnel que quelques temps avant la guerre de Sécession. Une décennie supplémentaire étant nécessaire pour relier la côte pacifique américaine à l’Australie, Hong Kong, l’Inde, l’Europe et le Brésil.

Du coup, l’usage commun de ces diverses technologies donne évidemment à l’Union une puissance impossible à égaler. Du moins en théorie, car les stratégies unionistes manquent à maintes reprises de réactivité en laissant aux États confédérés la possibilité de poursuivre plus longtemps l’affrontement. Elles paraissent même quelquefois paradoxales dans la mesure où Lincoln promeut colonel Robert Lee en mars 1861, tandis qu’il est d’une redoutable perspicacité quant à l’estimation de la durée et de l’intensité du conflit. En effet, le 17 juillet 1861, soit quelques jours avant la bataille de Bull Run du 21 juillet 1861, il fait voter l’émission de deux cent cinquante millions de $ en Treasury Note. Cette loi prévoit d’émettre cinquante millions de $ en bons du Trésor payables en or (les Demand Notes) et deux cents millions de $ en bons du Trésor payables en or, d’une durée de trois ans et délivrant un intérêt de 7,3 %. Les Demand Notes sont émis en coupures de cinq, dix, vingt $ et portent l’inscription « Receivable in payment of all public dues », tandis que les seconds, les « seven-thirties » Notes, sont émis en coupures de cinquante, cent, cinq cents, mille, et cinq mille $. À ce propos, notons que le budget fédéral de l’année précédente n’était que de soixante-quatorze millions de $ et que la dette publique totale atteint quatre-vingt-dix millions de $. Mais surtout, une victoire militaire à Bull Run aurait certainement réduit la durée de la guerre et donnée peu de justifications à ces derniers bons du Trésor d’une durée de trois ans.

Par conséquent, il est probable que ces emprunts cherchent plutôt à créer une monnaie à valeur nationale, car, d’une part, leur montant colossal implique une grande vitesse de circulation doublée d’une étonnante liquidité et, d’autre part, leurs ressemblances avec des billets de banque témoignent de l’intention de leur en donner l’usage. Par ailleurs, la trésorerie s’emballe de nouveau lors de l’affaire du Trent qui, loin d’éclater en un conflit contre le Royaume-Uni, sert de prétexte à l’interruption du remboursement en or des Demand Notes. Dans la foulée, le Congrès des États-Unis d’Amérique vote le First Legal Tender Act de 1862 arrêtant l’émission de ces Demand Notes au profit d’United States Notes pour cent cinquante millions de $, sans aucune possibilité de les échanger contre de l’or ou de l’argent. Mais cette dernière loi prévoit aussi l’émission d’obligations d’État payables en or, à 6 % annuel, sur une durée de vingt ans, dont le porteur peut obtenir le remboursement anticipé dès la cinquième année ; autrement dit les «Five-twenties». Enfin, le Third Legal Tender Act de mars 1863 limite l’émission totale de ces United States Notes à hauteur de quatre cent cinquante millions de $. Leur vaste diffusion territoriale les faisant dorénavant accepter comme moyen de paiement dans tous les États de l’Union.

Un bon du Trésor U.S. « Seven-thirty » Les ressemblances entre les Demand Notes et les United States Notes

Leur problème majeur est que la Constitution des États-Unis d’Amérique n’accorde strictement aucun droit au Secrétaire du Trésor, Salmon P. Chase, pour émettre des devises. Et lors même que cela serait possible, toutes ces émissions hyper-inflationnistes s'opposent à la politique « monétariste » des National Banking Acts de février 1863 et de juin 1864. Un $ unifié en un système de banques nationales doit désormais supplanter ces United States Notes dépréciés, dont la cote ne dépasse pas deux cent quatre-vingt-cinq $ pour cent $. C'est pour cela que les banques nationales doivent maintenant investir un tiers de leurs capitaux dans la dette publique pour simplement pouvoir émettre 90 % de ce montant en National Banks Notes, tandis que les États ne disposent plus du contrôle de la politique monétaire. Le temps des « wildcat banks » est définitivement révolu et quoi de mieux que le portefeuille de valeurs mobilières du président pour appuyer cette politique monétaire restrictive à contre-courant de ces multiples Legal Tender Act ? Pour preuve, le président Lincoln, dès juin 1864, et de façon à ne recevoir que des intérêts payables en or, convertit tous ses «Temporary Loan Certificates» (TLC), dont l’intérêt n’est payable qu’en United States Notes, en «Five-twenties» et «Loan of 1863». Un potin qui pourrait prêter à sourire si cette abyssale dette publique américaine ne finançait pas une succession de gigantesques batailles.

Les pertes humaines y sont effectivement de plus en plus importantes, quelquefois sur un très court laps de temps, comme en mai 1864 où plus de trente mille soldats furent tués. Le statu quo ante bellum s’impose dès lors aux belligérants jusqu’à l’émergence d’un possible dénouement du conflit quelques mois avant la victoire de Lincoln en tant que candidat du Parti de l’union nationale. Car, contrairement à une idée passablement répandue, la reddition du général Lee, une semaine avant l’assassinat du président Lincoln, ne met pas fin à la guerre. Les États confédérés d’Amérique ne déposent pas tous ensemble les armes et il faut attendre le 20 août 1866 pour que la guerre de Sécession soit officiellement terminée. D’autre part, les soldats confédérés ne sont amnistiés qu’à partir de la ratification des amendements constitutionnels relatifs à l’égalité des droits. De plus, le lien de causalité entre ces amendements et la guerre de Sécession est ténu. Par exemple, dans le Delaware, on avait voté contre la sécession, mais au final on rejette le XIII ème amendement. Les Jim Crow Laws en limiteront aussi les effets par la mise en place d’un système ségrégationniste, selon la couleur de peau, dans tous les lieux et les services publics des États du sud. L’arrêt «Plessy vs. Ferguson» les confirmant sans ambiguïté, à la seule condition de respecter l’égalité entre les citoyens.


En réalité, les préoccupations de l’administration américaine paraissent plus être d’ordre économique, car la masse colossale d’United States Notes menace la stabilité du système bancaire national. Voilà pourquoi le Contraction Act of 1866 les retire de la circulation à hauteur de dix millions de dollars les six premiers mois, puis de quatre millions de dollars chaque mois, avant que le Currency Act of 1870 ne convertisse quarante-cinq millions de TLC en billets de banque nationaux. L’administration américaine donne ainsi clairement la priorité à son système bancaire national en le préparant à cette transformation monétaire transatlantique communément appelée étalon-or.



Les progrès des communications télégraphiques et du transport maritime le rendent désormais possible pendant que l’interdépendance croissante des marchés économiques, au fur et à mesure de l’intensification de la division internationale du travail, le réclame. Les autorités américaines réduisent, par conséquent, drastiquement le nombre de leurs monnaies d’argent dès le Coinage Act of 1873, au moment où leur gisement d’argent du Comstock Lode déprécie de moitié le cours de l’argent. Cette dernière exploitation permettra aussi de développer des techniques minières telles que l’aération des galeries ou l’étayage cubique qui, avec l’électrification, serviront bientôt à l’exploitation des gisements aurifères des Black Hills ou d’Afrique du Sud.

Le système Square set timbering du Cumstock Lode
C'est un fait. Les nations atlantiques devront dorénavant disposer d’une monnaie où l’étalon-or fixera la parité, stabilisera le taux de change et servira d’instrument de réserve. Le continent européen met d'ailleurs en œuvre ces structures dès la fin de la guerre franco-prussienne à travers le traité d’armistice de Francfort et la loi monétaire allemande du 9 juillet 1873. Cette dernière loi interdit la frappe des monnaies d’argent et impose le Goldmark comme monnaie des indemnités de guerre en remplacement des monnaies locales. La République française ne peut cependant payer cash ces indemnités de guerre égales au quart de son P.I.B. annuel et doit émettre un emprunt public national d’un montant de deux milliards de francs-or à 5 % annuel, puis un second international, d’un montant de trois milliards de francs-or à 5 % annuel. De plus, l’exploitation des gisements américains déprécie tellement le métal argent que, lors même que toutes les nations européennes ne sont pas intégrées à la division internationale du travail, l’Union latine doit progressivement cesser la frappe de ses monnaies. Et alors que l’étalon-or commence à peine à s’imposer au système monétaire européen, une crise bancaire surgit déjà dans les Empires allemand et austro-hongrois. Ces États ont négligé la spéculation née des injections massives et subites des indemnités de guerre françaises qui, par l’intermédiaire des crédits hypothécaires des institutions financières immobilières municipales ou privées, ont créé une bulle immobilière. Bref, son explosion entraîne une hausse du coût des prêts interbancaires et un tel effondrement du cours des actions bancaires à Vienne et à Berlin que, par ricochet, quelques mois plus tard, c’est au tour de la bourse de New York de fermer dix jours. Par exemple, la faillite de la banque Jay Cooke and C°, chargée de placer les obligations de la Northern Pacific Railway, entraîne la liquidation de cinquante-sept autres sociétés financières américaines.

Cette retentissante crise financière provoque un ralentissement économique jusqu’à la fin du XIX ème siècle que l’on nommera Longue Dépression. De telles incidences s’expliquent non seulement par cette première intégration des marchés financiers, mais aussi par le fait que la banque Jay Cooke and C° était l’associée de la banque Drexel and C°, elle-même spécialisée dans les financements d’emprunts d’État et de compagnies ferroviaires. Ces banques s’étaient établies dès les premières grandes batailles de la guerre civile américaine et avaient fait souscrire, à grand renfort de publicités dans leurs journaux de l’Ohio State Journal ou du Public Ledger (le premier journal bon marché tirant à quarante mille exemplaires), un grand nombre de leurs emprunts. La banque Drexel and C° par l’intermédiaire de sa filiale Drexel, Harjes and C° à Paris était aussi responsable de la souscription des emprunts publics français destinés à payer les indemnités de guerre au Reich allemand. Ce n’est qu’ensuite, à la fin de la Longue Dépression, que les banques Drexel, Morgan and C° à New York, Philadelphie et Londres, fusionneront pour former la puissante J.P. Morgan and C° à qui appartiendra l’United States Steel Corporation. Ce premier trust mondial au capital supérieur à un milliard de $, dont la direction centralisée regroupera près de 60 % des capacités de la sidérurgie américaine, intégrera tout le processus de production sidérurgique : des gisements de fer aux wagons, en passant par la production de rails.

Mais avant cela, quelques trusts américains vont encore se signaler dans d’autres secteurs stratégiques à l’exemple du trust de raffinage et de distribution de pétrole de la Standard Oil fondé par J.D. Rockefeller. Celui-ci contrôle 90 % du pétrole raffiné aux États-Unis d’Amérique, grâce au rachat de vingt-deux de ses vingt-six concurrents à Cleveland et aux rabais obtenus sur le transport ferroviaire de ses barils. Quant au secteur agricole, il est trusté par la société du marchand de grains Cargill dont le vaste réseau de silos, au centre des nœuds ferroviaires du Midwest, s’ajoute à la création d‘un système de contrats à terme dévolu à la sécurisation des transactions sur les matières premières : le Chicago Board of Trade. Le blé américain se rend ainsi extrêmement disponible au moment où la forte croissance démographique du Royaume-Uni en fait le premier importateur mondial de blé, sans qu’aucuns de ses approvisionnements ne proviennent d’Europe centrale ou de Russie. Ces importations alimentaires américaines à très bas prix, qui augmentent tout autant les revenus réels des urbains qu’elles ne déclenchent l’exode des ruraux, font d’ailleurs affluer une main d’œuvre britannique très bon marché dans l’industrie américaine. Enfin, de leur côté, les flux massifs des capitaux étrangers aux États-Unis d’Amérique, spécifiquement britanniques, initient un nouveau cycle économique transatlantique dans lequel le continent américain absorbe près de 40 % des investissements britanniques à l’étranger, soit huit fois plus que le continent européen. Le processus d’intégration des marchés financiers commence donc à supplanter le commerce des économies nationales comme tend à le confirmer la croissance annuelle du commerce mondial qui, malgré le fait qu’elle soit supérieure à la production mondiale, reste inférieure aux investissements internationaux. Cette chose incombe en partie aux barrières protectionnistes de l’économie américaine, qui n’achète plus aucun produit d’Europe et exporte en quantité des produits primaires à faible valeur ajoutée.

L’excédent commercial américain évolue, en conséquence, inversement au déficit commercial européen, même si tous les États-nations européens n’y participent pas équitablement. Car, bien que créées tardivement pendant le Blocus continental napoléonien, les industries sidérurgiques allemandes se servent au mieux de cette division internationale du travail pour se structurer en sociétés anonymes. Aussi, les banques allemandes, qui recourent seules aux marchés financiers, développent avec ces industries des liens juridiques spécifiques par l’intermédiaire des crédits qu’elles octroient en échange d’actions. Cette stratégie industrielle réclame cependant un apport constant en capitaux. Mais ce contexte de Longue Dépression, où la concurrence internationale diminue, constitue une aide précieuse pour stabiliser les prix de l’acier. D’autre part, le Reich interrompt le libre-échange l’année 1879 en promulguant le «tarif Bismarck» qui limite ses importations industrielles britanniques et céréalières américaines auquel le Reichstag ajoute des lois antisocialistes interdisant les organisations, les écrits et les rassemblements. De ces réformes et de ces circonstances émergent les Konzern : des associations d’entreprises complémentaires, à l’exemple de Krupp AG ou de Walzwerk Thyssen and C°, qui se développent autour des secteurs miniers et sidérurgiques selon une stratégie d’intégration verticale des phases de production et de distribution. Les soixante-quatre plus grandes entreprises minières allemandes possèdent chacune le Kohlensyndikat, en proportion de leur production, qui produit plus de la moitié du charbon allemand, achète l’autre moitié, fixe les prix, se répartit les bénéfices et dispose d’un pouvoir d’amende en cas de dépassement du quota. Puis, cette institutionnalisation du cartel économique se reproduit avec le cartel sidérurgique du Stahlwerksverband et voilà comment le Reich confectionne un métal de qualité à partir de son minerai de fer phosphoreux.

De là, peut-être son intérêt à annexer l’Alsace-Moselle dont l’exploitation des gisements de minerai de fer lui assurera dès la fin du XIX ème siècle une production d’acier deux fois supérieure à celle du Royaume-Uni et six fois supérieure à celle de la France. Les usines de Wendel illustrent au mieux cette partition d’un territoire lorrain dont les réserves sont les plus importantes au monde pour qu’en même pas quarante années le Reich quadruple ses exportations et assure jusqu’à 30 % des importations françaises. Car ce fait est méconnu, mais le Reich sera au déclenchement de la Première Guerre mondiale son premier fournisseur de coke, avec un million de tonnes annuelles, et de minerai de fer, avec un million trois cent mille tonnes annuelles. Le Reich sera également le troisième producteur de charbon, le second producteur d’acier et la première industrie chimique mondiale. Du coup, il est logique que, malgré l’importation de plusieurs millions de tonnes de biens alimentaires, la balance commerciale allemande soit excédentaire. La division internationale du travail joue ici à plein son rôle. Le Reich sera tout autant dépendant de ses exportations, entre autres d’acier, que ses partenaires commerciaux le seront des importations allemandes. Ces dernières prendront une place si importante que les autorités britanniques promulgueront le Merchandise Marks Act imposant de leur apposer la mention «Made in Germany», même si une commission du Reichstag rapportera que l’impact économique de cette mention agira en réalité comme une norme qualitative très favorable. Ainsi, le Reich profitera au mieux de cette première mondialisation avec une production intérieure brute proche de 15 % du P.I.B. mondial pour 20 % du total mondial des exportations.

La répartition de la production mondiale d’acier en fonction des procédés de fabricationLa part des exportations dans le P.I.B. des nations atlantiques industrialisées sur un siècle (1870/1973)
La composition des échanges internationaux en 1913

On remarque aussi que cette prospère économie consolide quelques intérêts diplomatiques, notamment après que le traité d’armistice de Berlin ait mis fin à la guerre russe-ottomane. À ce propos, la résolution du Reich à ce que l’Empire austro-hongrois occupe militairement la Bosnie-Herzégovine fut un des plus grands revirements de son histoire. En agissant de la sorte, lui qui était jusqu’alors un allié indéfectible de l’Empire russe panslaviste, ne fragmenta pas seulement les Balkans, mais poursuivit une stratégie de renversement des alliances. En effet, l’année suivante, sa Duplice de 1879 l’oblige à une assistance mutuelle avec l’Empire austro-hongrois en cas d’agression russe ou à une neutralité réciproque en cas d’agression d’une nation européenne. L’invasion française de la Tunisie en avril 1881 donnant ultérieurement un prétexte au royaume d’Italie pour les rejoindre au sein de la première Triplice. Par conséquent, cette Duplice de 1879 anéantit la diplomatie russe du neveu de l‘empereur allemand Guillaume I er, le tsar Alexandre II, qui n’en aura officiellement jamais connaissance, puisqu’elle n’est divulguée qu’après son assassinat en mars 1881.




WWI - Première Guerre mondiale


Ses difficultés en matière de politique étrangère étaient du reste à l’image de sa politique intérieure. L’abolition du servage, la rénovation du judiciaire et la décentralisation du pouvoir avaient surtout servi les organisations contestataires. L’une d’entre elles, le mouvement socialiste agraire Narodniki réclamait, entre autres, la mise en place de petites unités économiques autonomes au sein de communes confédérées. Ses partisans, les Narodniks, n’étaient pourtant pas des paysans, mais des universitaires ou des militaires tels que Gueorgui Plekhanov, qui fondèrent Zemlia i Volia, autrement dit Terre et Liberté, dont l’objectif était de planifier des manifestations telles que celle de Notre Dame de Kazan à Saint-Pétersbourg. Le pouvoir impérial paraissait d’autant plus démuni qu’ils bénéficiaient d’une grande mansuétude comme lors du médiatique « procès des 193 » où aucune condamnation supérieure à dix ans de travaux forcés et aucune peine de mort ne fut prononcée. D'ailleurs, au lendemain de cet indulgent verdict, la militante révolutionnaire Véra Zassoulitch tenta d’assassiner le chef de la police de Saint-Pétersbourg. Une nouvelle fois, le jury l’acquitta en la considérant comme une victime des brutalités policières. Enfin, un mois avant la signature de la Duplice, Zemlia i Volia se scinda entre les activistes non violents de Tcherny Peredel et les révolutionnaires terroristes de Narodnaïa Volia. Ceux-là mêmes qui assassinent le tsar Alexandre II deux ans plus tard.

La répartition de la population juive dans la Zone de Résidence
Un attentat auquel la promulgation du Manifeste du 29 avril 1881 et les Règlements intérieurs répond. L’autocratie du tsar Alexandre III est ainsi réaffirmée, puisqu'ils accordent, entre autres, à la police secrète Okhrana des pouvoirs spéciaux et imposent des quotas ou interdisent certaines professions aux Juifs. De nombreux Juifs de Saint-Pétersbourg et de Moscou sont alors déportés dans la Zone de Résidence au motif qu’ils seraient responsables des pogroms. De leur côté, les leaders de Tcherny Peredel s’exilent en Confédération suisse pour y fonder «Libération du travail» et éditer les ouvrages de Plekhanov, tels que Le socialisme et la lutte politique, voire de Karl Marx, un théoricien socialiste connu pour sa conception matérialiste de l’histoire. C’est dire si le Parti ouvrier social-démocrate de Russie (P.O.S.D.R.) n’est pas un pionnier, puisqu'il s’internationalise tardivement pour rompre avec la paysannerie et se revendiquer de la classe ouvrière. Car ce n’est qu’à partir de l’industrialisation des usines sidérurgiques de Saint-Pétersbourg que le P.O.S.D.R ne cesse de dénoncer la nouvelle diplomatie impérialiste dont le rapprochement inédit avec la République française ressemble à une coopération économico-financière. Pour preuve, en France, la valeur totale des émissions boursières de valeurs industrielles et d’emprunts d’État russes est deux fois supérieure à l’indemnité de guerre française versée au Reich allemand. Mais pour en arriver à ce montant de plus de dix milliards de francs-or, les journaux français se sont bien évidemment engagés auprès de diplomates» russes dans des campagnes publicitaires. Les journaux britanniques, tels que le Times, ont beau alerter des difficultés budgétaires russes, le pot aux roses ne sera éventé que trop tard, quand la correspondance d’Arthur Raffalovitch, un attaché au ministère des finances russes et Grand officier de la Légion d’honneur, avouera le versement de six millions de francs-or à ces mêmes journaux. En outre, la nouvelle convertibilité en or du rouble russe, à laquelle s’ajoute la convention militaire prévoyant la mobilisation mutuelle en cas d’attaque de la Triplice l’année 1892, participe activement à la popularité de ces «emprunts russes». La plupart d’entre eux financent les rails du Transsibérien (un chemin de fer transcontinental de près de dix mille kilomètres), les canons, les tours d’artillerie, les cuirasses de navires ou les munitions de l‘armée, soit tout autant de transferts technologiques. Un bon exemple de cette entente est le canon de 76,2 mm Modèle 1902 Putilov réunissant un système de recul à un chargement manuel par culasse. Le tout conçu par l’entreprise française Schneider.

L’alliance franco-russe est ainsi scellée pendant que se profile l’Entente cordiale entre la République française et le Royaume-Uni. Cette Triple-Entente s’oppose dorénavant aux volontés hégémoniques qu’elle prête volontiers à la Triplice et il lui est commode d’affirmer de quel côté penche le bellicisme en faisant fi du fait que le moteur de l’industrialisation russe réside plus que tout autre dans son industrie d’armement. L’idée d’une Triple alliance ultra militarisée doit donc être relativisée. Ses deux milliards de Goldmark annuel alloués aux budgets militaires étant largement surpassés par les quatre milliards et demi de Goldmark de la Triple-Entente.

La carte des alliances militaires en 1914

En effet, dès le début de la Triple-Entente, le budget militaire russe est égal à 40 % du montant total de ses dépenses publiques avant d’atteindre la première place mondiale au début de la Première Guerre mondiale. Ce sont entre autres ces enjeux liés à la sécurité internationale, auxquels s’ajoutent l’expansion massive du prolétariat, qui incitent certainement l’Okhrana à mettre en place dans les aciéries Oboukhov ou Putilov de Saint-Pétersbourg des associations ouvrières autour de ses agents impériaux. L’un d’eux, le prêtre orthodoxe Gueorgi Gapone, anime l‘«Union des ouvriers russes des fabriques et usines de Saint-Pétersbourg» où il promeut la défense des droits des ouvriers et l’élévation de leur morale religieuse. Toutefois, sa manifestation du Dimanche rouge, qui rassemble des dizaines de milliers de ses sympathisants en direction du palais d’Hiver de Saint-Pétersbourg, débouche sur une féroce répression et déclenche la Révolution russe de 1905. Cette révolution, au cours de laquelle éclosent les conseils ouvriers communément appelés soviets, est d’autant plus prévisible que la scission du P.O.S.D.R. entre les mencheviks et les bolcheviks avait déjà radicalisé le prolétariat deux années auparavant. Les théories du leader bolchevik, Vladimir Oulianov dit Lénine, était alors soutenues par l’association «Libération du travail» de Plekhanov, puis imprimées dans leur journal l’Iskra à Leipzig avec l’aide des allemands. Car, en dépit de la constante prédominance de la petite production agricole en Russie, et préalablement à l’action du prêtre Gapone, Lénine y écrivait que seul le prolétariat industriel et ouvrier détenait le potentiel révolutionnaire.

Ainsi, pendant que le drapeau rouge de la révolution marxiste flotte sur le cuirassé Potemkine, cette succession ininterrompue de grèves pèse sur l’armée russe qui, mise en péril dans le Pacifique, se résigne à ce que le Japon fasse la conquête de la Manchourie, de l’île de Sakhaline et de la péninsule coréenne. D'autre part, le soviet de Saint-Pétersbourg ne se satisfait pas de la création d’une assemblée nationale consultative au suffrage indirect restreint et multiplie un peu partout les soviets jusqu’à ce que la promulgation du Manifeste d’octobre, qui établit une assise à la monarchie constitutionnelle, parvienne à mettre fin à la grève générale. Les autorités russes tolèrent dorénavant les libertés civiques telles que les libertés de culte, de parole, d’association et de réunion, en contrepartie d’un droit de dissolution et d’un droit de veto impérial sur la Douma d’État. Les soviets de Moscou ou de Saint-Pétersbourg sont cependant interdits et, à l’exception de l’assassinat du prêtre Gapone par des socialistes révolutionnaires, les exactions de nombreuses milices telles que les Cent noirs, à la fois ultra-impérialistes, xénophobes et antisémites, lancent une campagne d’épuration. La propagation de théories antisémites dans les journaux ou les ouvrages littéraires sous l’influence de l’Okhrana participent aussi à cette recrudescence de pogroms et quelquefois à l’assassinat d’élus de la Douma d’État. Par exemple, l’un de ses informateurs, Mathieu Golovinski, rédige Les protocoles des Sages de Sion (ou le programme juif de conquête du monde) dont l’intrigue prétend nous renseigner sur la volonté juive de dominer le monde et d’anéantir le christianisme.

Cette propagande éhonté de l’Okhrana, qui s’attache, entre autres, à attiser d’incessantes persécutions contre les Juifs de l’«Union générale des travailleurs juifs de Lituanie, de Pologne et de Russie», aboutit finalement à l’émigration de plus de deux millions de Juifs hors de la Zone de Résidence. C'est-à-dire en pleine mitteleuropa où les pangermanistes y voient une invasion d’«exploiteurs juifs internationaux». Car dès cette époque, l’irrédentisme pangermanique du Mouvement völkisch regroupe déjà près de cent cinquante mille adhérents autour d’une centaine d’associations, dont la branche la plus extrême est l’Alldeutscher Verband allemande (la Ligue Pangermaniste). Celle-ci a pour principal adversaire l’Empire austro-hongrois alors que ses trente mille adhérents ambitionnent, tout comme les pangermanistes austro-hongrois de l’Alldeutschen Bewegung, de fonder un État dans lequel les populations minoritaires seraient germanisées ou expulsées. Le fondateur de l’Alldeutschen Bewegung, Georg Ritter von Schönerer, est par ailleurs député au Reichsrat à Vienne et adhérent au Deutsche Arbeiter Partei (D.A.P.). Ce parti ouvrier allemand de Bohême issu d’associations socialistes, pangermanistes, antislaves, antisémites et antimarxistes, qui proposera à maintes reprises des lois restreignant l’immigration des Juifs de Roumanie ou de Russie. Dès lors s’amorce la transition d’un nationalisme libéral vers un nationalisme raciste dont l’inspiration se retrouve autant dans l’édification d’une Mitteleuropa germanique expurgée du judaïsme des Deutsche Schriften du philologue sémitique Paul de Lagarde, que dans Ein pangermanische Deutschland d’un Josef-Ludwig Reimer arguant de la supériorité culturelle d’une race allemande sur toutes les autres. Les élections législatives allemandes de l’année 1907 les légitimant un peu plus en accordant 5 % des sièges du Reichstag aux députés pangermanistes. La contradiction est donc là, puisque ce nationalisme raciste se propage dans cette Allemagne où l’étalon-or fixe la règle monétaire et dont l’industrie dépend fortement des exportations.

Mais surtout, ce nationalisme contraste avec l’ouverture de l’économie américaine qui, de par sa capitalisation financière, la croissance de son marché intérieur et son organisation scientifique du travail, tend à la suprématie mondiale. Frédérick Taylor théorise cette dernière caractéristique économique dans The Principles of scientific management, l’année 1911, en distinguant le travail entre les concepteurs et les producteurs dont les tâches parcellisées, planifiées et chronométrées font diminuer les coûts et augmenter la productivité. Mais pas seulement, car quand on l’associe à une amélioration des salaires, il ouvre la voie à la consommation de masse. Puis, le fordisme reprend à son compte cette gestion de la production en y ajoutant une chaîne de montage mécanisée transportant le produit d’un poste de travail à un autre selon un ordre préétabli. De cette façon, la chaîne de montage de l’automobile Ford T bénéficie d’une réduction par quatre du temps de fabrication de sorte que les États-Unis d’Amérique multiplieront par vingt leur production annuelle d’automobiles sur une seule décennie.



Cette production de masse n’est cependant possible que grâce à la fée électricité qui, à la différence de l’énergie vapeur, n’oblige pas à suivre un mécanisme complexe de poulies et de courroies. En outre, quelques innovations électriques telles que la lampe à incandescence, la télégraphie sans fil ou le téléphone soutiennent ces systèmes d’organisation du travail en continu. Les nouvelles centrales électriques sont donc indispensables pour transformer une multitude d’énergies primaires en une énergie électrique et la distribuer à des consommateurs de plus en plus éloignés. Par exemple, la centrale Edward Dean Adams Station exploite les chutes du Niagara grâce à une machine asynchrone, génératrice d’un courant alternatif, élaborée par Nicolas Tesla.

La chaîne de montage de la Ford T

Cette gestion de la production accentue tant la division internationale du travail que la concurrence sur les nouvelles activités industrielles que les nations continentales européennes développent en se focalisant sur l’exploitation de leur conquête coloniale, tandis que les États-Unis d’Amérique soutiennent l’innovation en satisfaisant les besoins en liquidités du secteur industriel. C’est en suivant cet objectif que le le Federal Reserve Act établit le Federal Reserve System l’année 1913 prévoyant que le Federal Reserve Board coordonne la politique monétaire des districts. Chacun d’eux, pourvu d’une banque de réserve fédérale propriété des National banks locales, émet des billets convertibles en or et fixe le taux de réescompte des crédits ou des dettes publiques. Bref, la puissance économique américaine va quasi-immédiatement profiter de cette réforme monétaire étant donné que la crise bosniaque amène toutes les nations européennes à abandonner l’étalon or dès l’année suivante.


Depuis l’annexion austro-hongroise des territoires de la Bosnie-Herzégovine, cette crise bosniaque était un prétexte endémique à un possible conflit mondial. En effet, celle-ci avait tout autant déclenché l’indignation des pangermanistes que des milices panslavistes serbes. Et l’une d’entre elles, la Narodna Odbrana, qui n’avait jamais caché son désir de transformer l’Empire austro-hongrois en une monarchie trialiste, aurait préparé l’assassinat du prince héritier d‘Autriche-Hongrie dès la publication de sa visite à Sarajevo. Notons que ces préparatifs auraient aussi pu être connus de leurs alliés russes, notamment du ministère de la Marine qui, malgré l’augmentation de 5 % de son budget militaire en mai 1914, ordonne de ne plus engager de commandes auprès du Reich allemand dès avril 1914. L’assassinat du prince héritier en juin 1914 donne du moins un mobile à l’Empire austro-hongrois pour déclarer la guerre au royaume de Serbie, puis, contrairement aux accords franco-russes prévoyant la concertation, à l’Empire russe pour déclarer unilatéralement la guerre à l’Empire austro-hongrois. Le non respect russe de ces accords enclenchant finalement un système d’alliances militaires et offrant un motif à l’armée allemande pour lancer son attaque selon son plan «Schlieffen» préétabli depuis près d’une décennie. Pour cela, elle viole tout d’abord la neutralité du Grand-Duché de Luxembourg, puis celle du Royaume de Belgique et, pour finir, se précipite sur la République française en assurant une défense minimale de sa frontière orientale. Mais en moins de deux mois, l'échec du plan «Schlieffen» transforme ce qui devait être une courte guerre dynamique en une longue guerre de position dans laquelle la Triple-Entente encercle la Triplice.

La situation économique des nations européennes ressemble également à ce prévisible enlisement militaire où le vote des crédits ne cesse de contredire l’optimisme patriotique des belligérants. Comme nous l’avions déjà précisé, la plupart des nations européennes s‘étaient empressées d’abandonner le système de parité fixe des monnaies : Le Reich allemand, le 4 août 1914, et la République française au lendemain. Bien évidemment, il ne fallut que quelques mois pour que ces belligérants ne se satisfassent plus de l’inflation monétaire et recourent massivement à l’emprunt. Certes, la Triplice n’emprunte que quelques dizaines de millions de $ aux banques américaines, en raison du blocus maritime britannique, mais la Triple-Entente emprunte près de deux milliards de $. Plus précisément, le volume des exportations américaines à destination de la Triple-Entente augmente substantiellement à partir du torpillage du paquebot transatlantique Lusitania, au point d’amener le chancelier de l’Échiquier David Lloyd George à exiger le passage à une économie de guerre. Dès l’année 1915, l’Empire britannique remplace donc ses monnaies d’or par des billets du Trésor, mais maintient l’étalon or à la faveur de l’exploitation des gisements aurifères des dominions australiens ou sud-africains. L’Union d’Afrique du Sud, fondée à la fin de la seconde Guerre des Boers, produit déjà la moitié de l’or mondial. D’une manière générale, la Triple-Entente se sépare de ses titres américains ou de ses réserves d’or en échange de crédits ou de facilités de paiement. Les États-Unis d’Amérique, jusqu’alors endettés depuis la guerre de Sécession, deviendront ainsi les créanciers des nations européennes dès la fin de la Première Guerre mondiale. Les 40 % de réserves d’or mondiales détenues par le Federal Reserve System réussiront même à imposer le $ comme une monnaie internationale.

Les réserves en or des banques centrales (1910/1940) La répartition de la production mondiale d’or

À l’inverse, la situation financière du Reich ne cesse de se détériorer, tout spécialement à partir de janvier 1916, quand la valeur du Mark se déprécie de 20 % par rapport au $ à la bourse de New York. Puis, un mois plus tard, l’attaque allemande sur les forts de Verdun précipite la hausse des prix des denrées, pendant que les premières cartes de rationnement apparaissent concomitamment aux premières émeutes des marxistes du Spartakus Bund à Berlin. Aussi, l’échec de l'offensive sur Verdun paraît désorienter le commandement allemand alors que le sabotage du Black Tom, un dépôt du port de New York, par le commando du capitaine Franz von Rintelen, ne peut rien contre les tanks britanniques. Le franchissement des dispositifs allemands de mitrailleuses, de fils barbelés et de tranchées dès septembre 1916 ne l’intéresse d'ailleurs pas plus que son tank Sturmpanzerwagen A7V. Sa fabrication se limite à une petite vingtaine d’exemplaires, tandis que le commandement français réclame à Renault plus de trois mille cinq cents tanks légers FT et plus de mille cinq cents avions d’observation. Si bien que lorsque la Triple-Entente lance des raids aériens à partir de la plate-forme nautique HMS Furious, les allemands, plus épris de gigantisme, transforment leurs avions d’observation en bombardier biplan quadrimoteur Zeppelin Staaken R.VI. En réalité, le plus grand point commun entre ces belligérants est la guerre totale et sa production de masse. Par exemple, le travail des femmes dans l’industrie est enfin valorisé, et lors même qu’elles ne sont pas plus nombreuses à travailler qu’auparavant, leur nombre diminue dans le secteur textile au profit des secteurs métallurgiques ou mécaniques.

Le diagramme du char Renault FT-17Le bombardier Zeppelin Staaken R.VI

D'autre part, cette production de masse engendre de violentes émeutes ouvrières, que ce soit en Allemagne ou en Russie où, dès janvier 1917, la désobéissance de l’armée est telle qu’elle conduit les soldats à fraterniser avec les deux cent mille ouvriers des usines Putilov. Le tsar est ainsi poussé à l’abdication et l’on constitue un «comité provisoire pour le rétablissement de l’ordre gouvernemental et public». Puis, tout comme lors de la Révolution de 1905, les grévistes marxistes rassemblent de leur côté les ouvriers et les soldats au sein d’un soviet des députés ouvriers et des délégués des soldats à Petrograd. Ce soviet reconnaît la légitimité du comité provisoire, accepte la convocation d’une Assemblée constituante et obtient l’aide plutôt intéressée de la chancellerie impériale allemande. Peut-être que le commandement allemand croît disposer d’un dernier atout en accordant un droit de passage à Lénine qui, dès son retour à Petrograd, professe dans ses Thèses d’avril que seule la révolution socialiste mettra fin à la guerre. Le révolutionnaire n’a même pas à évoquer les moyens industriels ou diplomatiques qui lui seront nécessaires pour obtenir un avantageux traité de paix que l’entrée en guerre des États-Unis d’Amérique, la semaine précédant son retour à Petrograd, confirme cette idée. À ce propos, la déclaration de guerre américaine n’est pas due à un énième torpillage sous-marinier allemand, mais à l’interception du télégramme Zimmermann intimant, un mois plus tôt, l’ambassadeur du Reich de proposer une alliance aux États-Unis mexicains. Et c’est sur ce seul motif que les États-Unis d’Amérique mobilisent toutes leurs ressources, que ce soit à travers le service militaire obligatoire ou la création d’agences fédérales telles que le War Industries Board. Voilà comment le National Defence Act met sous tutelle une partie de son économie et consacre une évolution bien différente des principes «intangibles» chères aux libéraux américains.

L’effort de guerre américain porte surtout sur la création d’un secteur industriel spécifique à la défense qui, malheureusement, limitera son action à la seule Europe occidentale. Selon ces objectifs, la jeune République russe ne peut recevoir de l’étranger une quelconque aide alimentaire. En conséquence, les disettes s’y ajoutent à la guerre, les grèves ouvrières succèdent aux révoltes paysannes et, un mois avant les élections à l’Assemblée constituante, la révolution d’Octobre éclate. Du coup, le comité militaire révolutionnaire de Petrograd attaque dans une quasi-indifférence le palais d’Hiver avant que son chef, Léon Trotski, ne demande la formation d’un gouvernement des soviets et l’ouverture immédiate de négociations d’armistice en novembre 1917. Cette stratégie ne paraît cependant pas convenir à l’ensemble du peuple russe, qui le sanctionne très sèchement, le même mois, aux élections de l’Assemblée constituante. Les bolcheviks ne recueillant que neuf millions de voix sur un total de trente-deux millions. En fait, la majorité du vote russe, y compris celui des femmes, désire l’armistice, mais n’adhère pas aux théories des gardes rouges du soviet de Petrograd qui dissolvent l’Assemblée constituante sous la menace des armes.

La tactique allemande d’un avantageux traité de paix semble donc fonctionner cahin-caha jusqu’à ce que les marxistes du Spartakus Bund empêchent le transfert des soixante-quinze mille soldats du front oriental en appelant les usines d’armement à la grève générale. On dénombre même près d’un demi-million de grévistes allemands quand le Reich conclu la paix de Brest-Litovsk avec la République socialiste fédérative soviétique. Le président des États-Unis d’Amérique, Wilson, conforte lui aussi cette situation insurrectionnelle en réclamant le renversement des monarchies européennes. Et l’administration impériale allemande de lui répondre que les «négociations de paix seront menées par un gouvernement élu du peuple» avant de libérer les prisonniers politiques, réviser la constitution bismarckienne et promulguer une réforme d’octobre faisant d’elle un régime parlementaire. Toutefois, les spartakistes, tels que Liebknecht, à peine libérés, rejettent immédiatement toute élection au suffrage universel et poussent à l’abdication l’empereur Guillaume II d’Allemagne. Leur dessein est plutôt de s’opposer au Conseil des commissaires du peuple, de créer un conseil ouvrier à Berlin, et d’instaurer une dictature du prolétariat, malgré la tenue d’élections à l’Assemblée constituante. Somme tout autant d’éléments qui amènent les premières unités démobilisées de l’armée allemande, que l‘on nomme Freikorps, à rétablir l’ordre. Les mille deux cents révolutionnaires marxistes qu’ils fusillent, la plupart civil, rejoignent les victimes d’un premier conflit mondial ayant fait plus de neuf millions de morts, huit millions de disparus et vingt millions de blessés.




WWII - Seconde Guerre mondiale


Cette situation insurrectionnelle perdure cependant à Munich où les révolutionnaires marxistes instaurent une République des Conseils de Bavière et proclament la dictature de l’Armée rouge. Le bataillon de réserve du second régiment bavarois d’infanterie a pour cela désigné le gefreiter Adolf Hitler comme délégué adjoint au conseil des soldats, avant qu'une fois de plus, la répression des Freikorps commandés par Franz von Epp élimine cette révolution socialiste en mai 1919. Du reste, on découvre à cette occasion que ces marxistes bavarois se sont particulièrement acharnés sur les adhérents de la Thule-Gesellschaft, une association pangermaniste antisémite munichoise arborant le swastika et dont on ne connaît pas la liste complète des adhérents. On sait tout au plus qu’elle s’inspire des pangermanistes autrichiens tel le théoricien du national-socialisme Rudolf Jung qui publia Der nationale Sozialismus : seine Grundlagen, sein Werdegang und seine Ziele. On sait également qu’un de ses adhérents, Adam Glauer alias «baron von Sebottendorf», édita quelques ouvrages littéraires dont Die praxis der alten türkischen Freimauerei: Der Schlüssel zum Verständmis der Alchimie que l’on peut traduire par « La pratique de l’ancienne franc-maçonnerie turque: La clé de la compréhension de l’alchimie ».

En fin de compte, cette révolution socialiste allemande s’achève avant que l’on démobilise les Freikorps et que le traité de Versailles limite la Reichswehr à cent mille soldats dès juin 1919. Soit tout autant de restrictions qui justifieront pour certains toutes les stratégies possibles de contournement de la République de Weimar, y compris le recrutement par le capitaine Karl Mayr du gefreiter Adolf Hitler comme agent de liaison (verbindungsmann) avec pour mission (aufklärungskommando) d’intégrer le Deutsche Arbeiterpartei munichois (D.A.P.) en septembre 1919. Le «Département de la propagande et de l’éducation» agissant ici un peu à la manière de l’Okhrana russe, puisqu’il tente de se réapproprier un prolétariat indispensable à l’industrie allemande. Pour ce faire, il fera valoir que le traité de Versailles et les États d’Europe centrale tels que la République de Pologne, la République tchécoslovaque ou le Royaume de Hongrie entravent la création d’une Grande Allemagne dans laquelle aucun Juif ne serait reconnu comme citoyen. En effet, en février 1920, Adolf Hitler n’a toujours pas démissionné de l’armée lorsqu’il présente le Programme en 25 points et que le D.A.P., à grand renfort de publicités dans le journal du «baron von Sebottendorf», le «Münchener Beobachter», réunit régulièrement jusqu’à deux mille personnes à la brasserie Hofbräuhaus am Platzl de Munich. Sa propagande prenant encore un peu plus d’ampleur dès le putsch de Kapp dont la république de Weimar ne se dépêtre que grâce aux socialistes et au refus de la Reichsbank de financer les six mille séditieux de la brigade Ehrhardt.

Le symbole de l’association Thule-GesellschaftLes Freikorps de la brigade Ehrhardt arborant le swastika au cours du Putsch de Kapp

Toutefois, le D.A.P., renommé en Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei (N.S.D.A.P.), reprend à son compte le swastika des putschistes et s’évertue à rassembler les Freikorps démobilisés à la faveur du rachat de l’entreprise d’édition Franz Eher Nachfolger GmbH pour cent quinze mille Papier marks (équivalent à dix mille Goldmark) en décembre 1920. Le journal «Münchener Beobachter» devient le « Völkischer Beobachter » au cours d’une énigmatique transaction qu’Hitler reconnaîtra lui-même dans Mein Kampf, lorsqu’il y précisera que le budget de sept Papier marks et cinquante pfennigs des premières réunions n’avait jamais atteint plus de trois cents Papier marks. Plus précisément, la Reichswehr aurait mandaté son officier von Epp pour participer à hauteur de soixante mille Papier marks à l’achat de cette entreprise d’édition. Toujours est-il que cet outil de propagande est immédiatement mis au service de l’ordre paramilitaire du N.S.D.A.P., à savoir la Sturmabteilung (SA) sous l’autorité directe du lieutenant des Freikorps de la brigade Ehrhardt, Hans Klintzsch.

La débâcle des armées blanches russes à quelques centaines de kilomètres de Moscou, en août 1919, est donc appréhendée par certains comme une dangereuse victoire de l’internationale communiste, sans reconnaître que l’abandon de l’intervention militaire américaine en Russie septentrionale et la fin du blocus économique y avaient largement participé. En réalité, l’armée rouge est en grande difficulté sur son propre terrain, celui de l’idéologie et du communisme de guerre. Sa Prodrazviorstka cause de si grands désastres qu’elle oblige à vendre à prix fixe les récoltes qu’elle ne réquisitionne pas et c'est pourquoi les paysans n’exportent plus aucun excédent agricole en direction des régions industrialisées. Les cas de famine se multiplient, des armées vertes surgissent et la perspective d’un échec révolutionnaire presse les bolcheviks à réclamer le secours de la Société des Nations. Mais leur appel reste sans réponses jusqu’à ce que le Russian Famine Relief Act of 1921, voté par le Congrès des États-Unis d’Amérique, leur accorde une aide de vingt millions de $ en septembre 1921. Les bolcheviks mettent alors fin au communisme de guerre pour consolider leur révolution en instaurant la Nouvelle politique économique (N.E.P.) : celle-ci prévoit de substituer aux réquisitions un impôt en nature et d'autoriser les paysans à vendre leurs récoltes sur les marchés. Elle reconnaît aussi la propriété privée et dénationalise les établissements de moins de vingt et une personnes dans le secteur industriel. Seules les grandes industries demeurent sous leur contrôle, à l’exception notable des usines étrangères telles que les automobiles Ford à Gorki.

Ce soutient financier américain a de quoi inquiéter les nations européennes qui, malgré le fait qu’elles soient toutes des régimes parlementaires, ne bénéficient d’aucune aide financière américaine. Seules l’inflation et la dépréciation monétaire financent leurs réparations et leurs dettes de guerre qui, sur ce point, font de la république de Weimar un exemple. Fragilisée par une dette équivalente à 130 % de son P.I.B., elle recourt à une politique monétaire ultra inflationniste pour payer sur quarante années, et exclusivement en $, des réparations de guerre supérieures à cent milliards de Goldmark au Royaume-Uni, à la République française, à l’Italie et à la Belgique. Ce faisant, elle ne retrouve pas sa production industrielle d’avant-guerre et se déclare en cessation de paiement. En réaction, la France et la Belgique font plonger l’économie allemande dans le désastre en s’appropriant les centres industriels de la Ruhr comme «gages productifs» : Les grèves plombent la production minière, le P.I.B. diminue de 15 % et c’est lorsque la république de Weimar croit les avoir contenues qu’elle doit payer les salaires. Logiquement, la masse monétaire augmente de nouveau et le relèvement des taux d’escompte à 30 % enclenche un autre désastre. Bref, tout ceci témoigne d'une plus complète incapacité à contrôler l'hyper-inflation, alors que la situation diplomatique allemande n’est pas meilleure, puisque la république de Weimar ne rompt son isolement qu’en signant l’accord de Rapallo avec l’Union Soviétique (U.R.S.S.). Le prix de cette annulation réciproque des dettes est un accord commercial selon la clause de la nation la plus favorisée, ainsi qu’un réarmement clandestin de la Reichswehr en contrepartie de l’installation de centres de recherche militaire en U.R.S.S. Par exemple, la Gas-Testgelände Tomka étudie les gaz de combat, la Kampffliegerschule Lipezk abrite plus d’une centaine de pilotes d’avion allemands et l’on teste à la Panzerschule Kama les premiers tanks Grosstraktor du consortium Rheinmetall, Krupp, Daimler.

Quant autres États européens, ils subissent dans une moindre mesure cette instabilité monétaire chronique qui, mis à part quelques exceptions, les incite à adhérer au Gold Exchange Standard initié à la Conférence de Gênes. Grâce à ce système monétaire international, chaque banque centrale peut convertir sa monnaie en or, ou considérer les monnaies de référence américaine ou britannique comme une réserve substitutive. Mais en ajustant le cours de leur monnaie à parité avec le cours de l’or, ces États accélèrent la dégringolade du Papier marks qui ne cote plus que douze milliards pour un $ en octobre 1923. Le coût des importations allemandes surpasse dès lors les maigres gains à l’export et plus aucun excédent commercial ne peut être dégagé. Les émeutes dégénèrent en une rébellion militaire jusqu’à ce que la Reichsbank introduise des titres de dettes indexés sur le $ en novembre 1923. En effet, l’assaut sur le dépôt d’arme de Spandau dirigé par le commandant de réserve Buchrucker s’achève par sa condamnation à dix années de prison, mais il contribue à préparer l‘opinion publique au «putsch» que lancent Ludendorff et Hitler le mois suivant. Lors même qu’il s’agit une fois de plus d’un échec, leur procès met en lumière des attentions que l’on avait jusqu’alors connu qu’au Procès des 193 en Russie. À vrai dire, leur marche sur Berlin, précocement arrêtée à la Feldherrnhalle sur l’Odeonsplatz de Munich, ressembla plus à une entreprise médiatique qu’à un véritable coup d’État. Par exemple, alors que les accusés sont passibles de la peine de mort pour haute trahison, le tribunal ne condamne Hitler qu’à la peine minimale de cinq années avec une possibilité de grâce au motif que les putschistes «ont été guidés par un pur esprit patriotique et par la plus noble des volontés». Le N.S.D.A.P., à qui l’occupation de la Ruhr avait déjà donné une dimension nationale, prend comme cela une dimension internationale et bénéficie de soutiens financiers d’importance tels que celui de Fritz Thyssen. En résumé, ce putsch de Munich consacre surtout la réussite d’une stratégie marketing mêlant les institutions publiques aux médias de masse que sont le photoreportage et la radio. Le sociologue Herbert Mc Luhan analyse d'ailleurs ce phénomène comme une communication unilatérale sans interaction, indifférenciée d’un vers plusieurs, où le public reçoit le même message, au même moment et de manière linéaire selon des séquences pré-définies. La sortie d’Hitler de la forteresse de Landsberg am Lech, après seulement treize mois de détention, ne sera qu’une séquence pré-définie suivante.

L’évolution de l’hyper-inflation du Papier mark
La première séquence a donc été le lancement du putsch au plus bas économique. C’est-à-dire en décembre 1923, le mois précédent la fin de l’hyper-inflation du mark. En effet, un système financier interrompt momentanément le désastre économique en stabilisant en deux temps la monnaie allemande. Dans un premier temps, une banque centrale, la Rentenbank, distincte de la Reichsbank, émet comme monnaie provisoire le Rentenmark. Des hypothèques et la rétrocession à l’État, à savoir que tout propriétaire doit céder 6 % de la valeur des biens réalisés, couvre cette monnaie à concurrence de trois milliards de Goldmark au taux de change fixe d’un pour mille milliards de Papier mark. Puis, dans un second temps, le comité Dawes fait accepter un échéancier de paiement des réparations de guerre sur quatre années tout en autorisant la Reichsbank à créer un Reichsmark (RM) intégré au Gold Bullion Standard. Les paiements en Allemagne se font dans les deux monnaies, mais seul le RM, d’une valeur égale au Goldmark, est convertible en lingots d’or ou en chèques sur l’étranger. Au choix d’une Reichsbank dont l’encaisse maximum de 25 % en devises couvre au minimum 40 % du montant des billets en circulation. Notons cependant que ce Reichsmark ne peut être instauré qu’à la seule condition que les banques américaines placent la majorité de leurs investissements en Allemagne. Or, dès août 1924, celles-ci souscrivent les deux tiers des emprunts à long terme allemands pour à peu près quatre milliards de $ ou vingt milliards de RM tout en faisant primer leur remboursement sur les réparations de guerre. Les crédits américains financent comme cela un «boom» industriel allemand dont la croissance du P.I.B. (22 % l’année 1925 et 9,5 % l’année 1926) n’a d’égal que la spéculation sur le franc, puisque la République française doit intégrer sa monnaie au Gold Exchange Standard après des attaques spéculatives l’ayant forcé à renégocier ses dettes de guerre.


Ces facilités financières américaines ne vont pourtant pas de pair avec la crise agricole américaine. Le retour de la production agricole européenne, comme la concurrence australienne ou canadienne, cause d’autant plus de difficultés à cette agriculture américaine qu’elle subit un «effet ciseaux» dévastateur. Ses prix de vente agricoles se réduisent, tandis que les prix industriels augmentent. La diminution des revenus agricoles américains est telle, qu’au risque d’accentuer la surproduction et la baisse des prix, seuls les agriculteurs, qui produisent davantage en ayant recours aux crédits bancaires, évitent la faillite. Cette hausse de la demande de crédits conduit la Federal Reserve System à relever ses taux d’intérêt. Ce qui, par ricochet, réduit la différence entre les taux des bons du Trésor américain et allemand. De ce fait, le retrait des capitaux américains en Allemagne, amorcé avec la décision d’Hjalmar Schacht de ne plus exempter les capitaux étrangers de la taxe sur les plus-values, s’accentue. Les investisseurs américains n’assurent plus que dans une très faible mesure le financement de l’économie allemande dont le P.I.B. plafonne à 5 % l’année 1928. Leurs investissements se reportent massivement sur leurs propres marchés de capitaux où un système d’achat d’actions à crédit, sous réserve d’une couverture d’au moins 10 % des sommes investies, a été mis en place.

L’évolution de l’indice Dow Jones (1921/1929)
Voilà certainement pourquoi la progression du Dow Jones, débutée dès l’adoption du plan Dawes, explose à partir de l’année 1928 pour atteindre un record de 381,17 points moins de deux années plus tard. Cette appréciation annuelle de 50 % d’un indice boursier ne remédie pas à la forte récession de l’économie agricole américaine, mais elle permet aux autorités de la masquer ; ce qui favorise sa propagation aux autres secteurs économiques. Par exemple, l’Agriculture Marketing Act, qui crée un fonds d’aide d’un demi milliard de $, permet au Federal Farm board de soutenir les prix, pendant que le ministère du commerce ne reconnaît que deux millions de chômeurs et que l’Office fédéral du travail en déclare deux fois plus. Puis, la croissance du P.I.B. devient nulle au premier trimestre de 1929 et la production d’automobiles chute d’un tiers au second trimestre. Cette récession économique est du reste déjà présente en Allemagne où l’on dénombre plus de trois millions de chômeurs et que la plupart des entreprises n’obtiennent plus de financements. Seuls quelques fleurons industriels gardent certaines faveurs auprès d’investisseurs étrangers : General Motors Corporation achète 80 % du constructeur d’automobiles Adam Opel AG en avril 1929, alors que General Electric prend une participation de 16 % dans l’entreprise d’éclairage Osram et de 25 % dans l’entreprise d’électricité AEG en juillet 1929.

Voilà pourquoi le krach boursier du 24 octobre 1929 à Wall Street suffit à faire basculer l’économie américaine. En effet, les banques américaines ayant spéculé par l’intermédiaire d’holdings d’investissement font faillite ou restreignent le crédit, avant que les problèmes de trésorerie et les banqueroutes des entreprises ne déclenchent à leur tour d’autres faillites bancaires. Quelques mois de crise, à laquelle s’ajoute la loi protectionniste américaine Hawley-Smoot en mars 1930, propage ensuite cette Grande Dépression dans la plupart des nations industrialisées avec pour symptômes un chômage de masse et une baisse persistante de l’indice des prix. Par exemple, les trois années suivantes, malgré la dévaluation d’un tiers de la livre sterling et l’abandon du Gold Exchange Standard, les exportations britanniques aux États-Unis d’Amérique diminueront de 46 %. Quant à la situation continentale européenne, elle n’ira guère mieux, puisque les exportations européennes aux États-Unis d’Amérique diminueront de 70 % sur la même période. Quant aux banques allemandes, elles n’ont quasiment pas de fonds propres et assèchent à tel point l’économie que le P.I.B. recule de 7 % l’année 1930 et de 10 % l’année 1931.

Des statistiques à mettre en parallèle avec les résultats électoraux d’un N.S.D.A.P. qui ne recueillait que 2,6 % des suffrages aux élections législatives en mai 1928, pour finalement se targuer de représenter 37,4 % des suffrages en juillet 1932. Toutefois, compte tenu de son aversion à la conciliation, ce parti refuse toujours de participer à toute coalition gouvernementale. Cette tactique politique, qui l’amène jusqu'à approuver une motion de censure du Kommunistische Partei Deutschlands (K.P.D.), lui fait perdre trente-quatre députés aux élections législatives de novembre 1932, dont une partie revient au K.P.D. et au Deutschenationale Volkspartei. À l’inverse, le K.P.D. n’a pas cessé d’accroître le nombre de ses députés au Reichstag depuis les élections législatives de décembre 1924 où il enregistra 45 députés. Ce fut ensuite l’année 1928 (54 députés), l’année 1930 (77 députés), juillet 1932 (89 députés) et enfin novembre 1932 (100 députés). Le N.S.D.A.P. mise donc sur la peur du rouge, mais cela ne suffit pas pour être majoritaire. D’autant plus que l’économie allemande s’améliore et que la population active au chômage recule de 5 %.

Les résultats des élections au Reichstag (1928/1933)L’évolution du taux de chômage en Allemagne

La république de Weimar a obtenu ce bon résultat économique en mettant en œuvre plusieurs grands chantiers financés par l’émission de bons Öffa. Ces derniers sont des reconnaissances de dette exclusivement destinées aux entreprises de travaux publics. Émises par une société allemande de travaux publics à l’activité fictive (la Deutsche Gesellschaft für öffentliche Arbeiten AG), la Reichsbank les garantit en cas de «défaut de paiement» et en assure le réescompte après une circulation de trois mois pouvant être prolongée jusqu’à cinq années. Et lors même que les nationaux-socialistes s’y opposent brutalement, cette «création monétaire parallèle» finance les grands aménagements publics à hauteur de deux milliards de RM. Que ce soient pour l’autoroute Bonn-Cologne inauguré par le maire de Cologne Konrad Adenauer l’année 1932 ou pour le projet Städte an den Hafrabastraßen reliant Hambourg à Bâle. D'autre part, le fait que le taux de chômage passe de 30 % à 25 % dès la première année de leur mise en circulation, sans engager de dépense militaire supplémentaire, contredit l’idée selon laquelle seul le programme du N.S.D.A.P. aurait permis de diminuer le chômage. Même s'il est certain que le secteur militaire bénéficie d’innovations nées de l’ambiguïté des restrictions du traité de Versailles. À l’image de la polyvalence de l’avion Heinkel He 111, conçu à partir de l’année 1932, qui est à la fois un avion de ligne transportant jusqu’à dix passagers et le bombardier de la Légion Condor, bourreau de la commune martyre de Guernica. D'ailleurs, il faut savoir que la Reichswehr est déjà une armée d’officiers disposant d’un matériel de qualité qui, concrètement, n’attend plus que le rétablissement de la conscription militaire, longtemps avant que le président du Reich Paul von Hindenburg nomme Adolf Hitler chancelier du Reich.

Aussi, ce 30 janvier 1933, sa prise de pouvoir se fait dans le respect de la constitution de la république de Weimar. Mais au lendemain de l’incendie criminel du Reichstag, la légalité subit quelques «aménagements» lorsque Hindenburg signe le décret d’urgence du 28 février 1933 relatif à la protection du peuple et de l’État. Ce décret, prit sur la base de l’article 48 de la Constitution de Weimar, stipule que le président du Reich a la liberté de prendre toute mesure nécessaire à la sauvegarde de la sécurité publique et, en conséquence, peut suspendre l’article 7 de cette même Constitution garantissant le respect des libertés civiques et individuelles. Le problème est que ce décret n’est légal qu’à la condition d’être accompagné d’une circulaire encadrant son domaine d’application. Or, dans ce cas précis, aucune circulaire ne définit les pouvoirs des polices auxiliaires SchutzStaffel (S.S.) ou SturmAbteilung (S.A.), qui emprisonnent des milliers de communistes désignés comme les responsables de l’incendie du Reichstag. Cette illégalité ressemble tout d'abord à une manœuvre politique destinée à liquider les adversaires du N.S.D.A.P. afin d’assurer la victoire aux élections législatives le 5 mars 1933 avec 43,9 % des suffrages. Mais, en fait, c’est tout un système concentrationnaire qui se met en place et la multiplication des arrestations d’opposants offre rapidement un prétexte à la construction des camps de concentration de Dachau ou d’Oranienburg. Après plus d'une décennie, ce système sera responsable, selon les estimations les plus basses, de l’incarcération de plus de cinq millions d’individus, dont trois millions mourront en camps d’extermination et un million en camps de concentration. À cette fin, le N.S.D.A.P. détruit graduellement la république de Weimar jusqu’à ce que la loi allemande des pleins pouvoirs de 1933 autorise le chancelier Hitler à promulguer des textes législatifs sans avoir à obtenir l’approbation parlementaire. Le plébiscite du 19 août 1934 approuvant la fusion des fonctions de président et de chancelier à travers un Führer und Reichskanzler l'abrogeant de facto.

La carte des camps d’extermination et de concentration nationaux-socialistes


En outre, ce revirement institutionnel en préfigure d’autres, particulièrement en matière économique où le N.S.D.A.P. s’appuie sur les médias de masse. À cet égard, il devient l’unique parti politique audible et sa propagande glorifie le dirigisme économique le plus extrême sur les fréquences radiophoniques des millions de «Der Volksempfänger». Le temps de l’artisanat et du petit commerce est révolu : ses lois sur la cartellisation obligatoire, la préparation organique de l’économie et l’organisation nationale du travail prohibent les syndicats, les sociétés par action au capital inférieure à cinq cent mille RM et imposent des quotas de production aux entreprises. L’État national-socialiste fixe aussi d’autorité les prix sur ce marché oligopolistique dans lequel les cartels, et non les artisans indépendants, profitent au mieux des commandes du complexe militaro-industriel. Cette cartellisation réclame cependant de telle quantité de matières premières que la Reichsbank met en œuvre un plan d’importation global. D‘un coté, elle suspend une partie du paiement de ses dettes, principalement à long terme et, de l’autre, elle paie au comptant les deux cent cinquante millions de RM annuels que lui coûte, en moyenne, ses indispensables importations américaines. Un choix s’expliquant tout autant par la faiblesse de ses réserves en devises que par l’importance du pétrole américain qui représente le quart de sa consommation. Du reste, il ne faut pas négliger ses importations américaines de cuivre, de fruits, de coton et de lard, qui représentent près de la moitié de sa consommation. Ce n’est qu’une fois que les États-Unis d’Amérique sont payés que le Reich diversifie ses approvisionnements en donnant la priorité aux importations de matières premières sans transfert de devises, grâce à des accords de compensation conclus avec des nations d’Amérique du Sud ou de la Mitteleuropa. Le plus important d’entre eux étant négocié avec l’Union soviétique.

L’économie nationale-socialiste crée effectivement peu de croissance. Ses recettes budgétaires n’augmentent quasiment pas et son financement repose majoritairement sur l’emprunt. Par exemple, l’année 1935, les banques allemandes doivent souscrire un emprunt d’État d’un milliard et demi de RM avec les dépôts de leurs épargnants, pendant que les bons Mefo répètent à plus grande échelle le mécanisme des bons Öffa. La société à l’activité fictive Metallurgische Forschungsgesellschaft m.b.H des associés Siemens Aktiengesellschaft, Rheinmetall AG, Gutehoffnungshütte et Krupp AG émet seule ces reconnaissances de dette, réescomptables après une mise en circulation de trois mois à cinq ans, contre des livraisons de marchandises. Leurs échanges mutuels entre les plus grandes entreprises allemandes finançent de cette façon jusqu’à 50 % des dépenses militaires d’avant-guerre alors que la Reichsbank s’en porte garante en cas de «défaut de paiement». Autre avantage du système, elle ne les comptabilisera jamais dans la masse monétaire, car ils devront représenter au minimum 30 % des réserves des banques et 90 % des réserves des compagnies d’assurance. Voilà comment l’emprunt gonfle la production allemande à laquelle vient s’ajouter l’industrie sarroise au plébiscite du 13 janvier 1935 rejetant à 90 % l’union avec la République française.

La sidérurgie sarroise est assurément indispensable au réarmement massif allemand qu’aucune nation ne peut ignorer depuis le rétablissement de la conscription allemande le 16 mars 1935. Et la communauté internationale ne sanctionne pas cette manifeste violation du traité de Versailles, puisque le traité naval germano-britannique du 18 juin 1935 accorde au Reich une flotte de guerre équivalente à 35 % du tonnage de la flotte britannique, le tout sans limitation de budget. La mise en chantier de sous-marins, de cuirassés, de croiseurs de bataille et du porte-avions Graf Zeppelin cause cependant de nouvelles difficultés d’approvisionnement. Par conséquent, le Vierjahresplan d’octobre 1936 ambitionne de réarmer complètement la Wehrmacht en quatre ans tout en lui assurant une autarcie. Ses moyens seront les matières premières synthétiques, telles que la liquéfaction du charbon ou le caoutchouc Buna, auxquelles s’ajoutera le travail forcé des opposants politiques ou des juifs. À cette fin, les Lois de Nuremberg, initialement proposées par le ministre de l’Économie Hjalmar Schacht, ont instauré un dispositif juridique discriminatoire se substituant aux violences individuelles et aux initiatives locales. Le paragraphe 3 de la Loi sur la citoyenneté du Reich n’autorisant aucune ambiguïté sur le fait que les citoyens du Reich jouissent de la totalité de leurs droits, à l’exclusion des opposants potentiels au régime et de «tous ceux qui s’en distancient tacitement par leur manque d’enthousiasme». Ceux-ci, au nombre de quarante-cinq mille dans les camps de Blechhammer prendront en charge la liquéfaction du charbon, tandis que les dix mille prisonniers de Monowitz-Buna à Auschwitz fabriqueront le caoutchouc synthétique et le tétraéthylplomb sous la direction commune des S.S. et de la société IG Farben. Cette dernière bénéficiant d’une licence de production d’Ethyl fluid (tétraéthylplomb, du 1,2-dibromoethane et du 1,2-dichloroethane) que la société Ethyl Gasoline Corporation, une propriété commune de General Motors et de Standard Oil of New Jersey, lui a accordée. Ces matières synthétiques fourniront à leur maximum plus de 90 % des besoins en carburant d’aviation et près de 50 % de la consommation totale en carburant de l’armée allemande.

L’usine IG Farben au camp de Monowitz-Buna à Auschwitz

Au demeurant, ce dirigisme économique n’est pas seulement cruel, il est aussi anti-économique et liquide quatre cent mille entreprises d’activités libérales ou indépendantes sur une seule décennie. Au plus grand bénéfice des cartels, la baisse des salaires fixés d’autorité maintient un quasi plein emploi comme il est certain qu’une telle structure implique inéluctablement une déclaration de guerre à court terme. La Note Hossbach portée à l’acte d’accusation au procès de Nuremberg le confirme auprès de la plupart des dirigeants nationaux-socialistes dès novembre 1937. Ainsi, l’annexion de la République d’Autriche, approuvée à 99,75 % des suffrages autrichiens et à 99,08 % des suffrages allemands en mars 1938, ouvre la voie aux accords de Munich et à l’invasion de la Bohême-Moravie dès mars 1939. On peut également comparer les trente-huit milliards de RM de dépenses militaires, pour la seule année 1939, aux cinquante milliards de RM cumulés des années passées, alors qu’une nette augmentation des besoins énergétiques trahit cette imminence. Le commandement de la Wermacht y satisfait du reste pleinement en coopérant de nouveau avec l’U.R.S.S. dès août 1939. Un second accord commercial auquel s’ajoute le pacte de non-agression germano-soviétique planifie ainsi l’échange de cent vingt millions de RM de biens industriels allemands contre deux cents millions de RM en matières premières soviétiques. Puis, l’U.R.S.S. intensifie cette collaboration avec d’autres accords commerciaux en février 1940 et en janvier 1941 alors que la République française ne survit qu’en quelques-uns, que le blocus britannique échoue à faire plier le Reich et que la prise du pétrole roumain en octobre 1940 ne peut à elle seule servir la mécanique allemande. Ces derniers accords prévoyant de livrer au Reich plus d’un million et demi de tonnes de céréales, cinq cent mille tonnes de minerais de fer, dix-huit mille tonnes de caoutchouc et neuf cent mille tonnes de pétrole pour un montant d’un milliard trois cent mille RM.

Centrale Volkswagen de production d'électricité, Wolfsburg,

Cette «bienveillance» soviétique finit cependant par se retourner contre elle le 22 juin 1941 quand près de quatre millions de soldats allemands l’envahisse ; Ce qui de l’avis même du commandement allemand aurait été impossible sans ces accords commerciaux donnant quatre mois de carburant à leurs six cent mille véhicules motorisés. Ces ressources allemandes sont d’autant plus limitées que l’executive order 8785 pris par le président des États-Unis d’Amérique F.D. Roosevelt, la semaine précédente, avait déjà interdit aux allemands l’accès de leurs fonds dans les banques américaines. La Chase National Bank ou l’Union Banking Corporation ne pouvant plus changer les RM en $. Toujours est-il que, six mois plus tard, le 5 décembre 1941, deux jours avant l’attaque japonaise sur Pearl Harbor et l’entrée en guerre des États-Unis d’Amérique, le Führer und Reichskanzler Hitler stoppe son offensive sur la ville de Moscou. La contre-attaque soviétique peut alors donner toute sa puissance puisqu’elle a conclu un pacte de non-agression avec l’Empire du Japon, juste avant l’attaque de Pearl Harbor, pour lui permettre d’exploiter ses vingt-six mille industries lourdes et ses cinquante mille ateliers délocalisés dans l’Oural, au Kazakhstan et en Sibérie. De plus, l’abrogation des Neutrality Acts isolationnistes lui fait profiter de l’économie de guerre américaine qui, bien plus que le New Deal, met fin à la Grande Dépression.

Certes, les États-Unis d’Amérique avaient commencé leur commerce au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. La clause «Cash and carry» avait autorisé les livraisons d’armes à la condition d’un paiement comptant et d’un transport à ses risques et périls, tandis que la loi «Lend-Lease» de mars 1941 établissait à la discrétion du président des États-Unis d’Amérique un programme de prêt-bail sur l’armement. Ces dispositions étaient néanmoins sans commune mesure avec le Victory Program américain misant sur une libération simultanée de l’océan Pacifique et de l’Europe. De son côté, le vote du Two-Ocean Navy Act avait commencé cet effort pour le secteur aéronautique dès juillet 1940 en augmentant de 70 % le tonnage de la flotte maritime. Ainsi, dix-huit porte-avions, quarante-trois sous-marins et quinze mille avions avaient été mis en chantier avant que le budget de la défense des États-Unis d’Amérique ne double. C'est comme cela que l’aéronavale américaine fabriquera au total près de trois cent mille avions et un million de véhicules militaires. Ses cinquante mille tanks Sherman servent également aux débarquements décisifs sur les îles du Pacifique, en Afrique du Nord (l’opération Torch de novembre 1942), en Sicile (l’opération Husky de juillet 1943) et en Normandie (l’opération Overlord de juin 1944). Bref, les quarante-quatre nations alliées semblent elles aussi tout autant inspirées en juillet 1944 lorsqu’elles concluent les accords de Bretton Woods, en pleine bataille de Normandie. Leur Gold Exchange Standard prévoit d’instaurer pour chaque devise une parité par rapport au seul $ indexé sur l’or. Les banques nationales ne peuvent ajuster le change qu’en réévaluant ou en dévaluant leur monnaie de 10 % maximum. C’est donc de nouveau détruit par une guerre mondiale que le continent européen devra s’appuyer sur ce système monétaire et son corollaire, le modèle économique libre-échangiste, pour se re-construire. Les milliards de $ du Programme de rétablissement européen, que l’on nomme plan Marshall, ne seront distribués qu’à cette condition. Quant à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (O.T.A.N.), elle maintiendra une dissuasion nucléaire sans faciliter la construction politique européenne.




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