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Économie

La production mondiale du surplus

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État

Les économies structurent les civilisations

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Monnaie

La monétisation
des routes de la soie

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Banque

La bancarisation dématérialise la monnaie

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Finance

Les révolutions préparent la financiarisation

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Industrie

L'industrie du littoral Atlantique Nord

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Asie

Décolonisation
de
l'après-guerre

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Énergie

La problématique énergétique de la globalisation

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Japon impérial Décolonisation


Japon impérial


Les révolutions asiatiques regroupent un ensemble hétéroclite de bouleversements administratifs et économiques qui visent à libérer les populations asiatiques des velléités colonisatrices des États industrielles atlantiques. Mais à la différence des Révolutions de l’Atlantique, très peu d’entre elles mettent en avant les droits de l’homme et la liberté individuelle. Un élément plutôt compréhensible, compte tenu du fait que leur histoire débuta, entre autres, quand l’ouverture du canal de Suez amena ces États industriels à exiger la légalisation du commerce de l’opium et l’accès au fleuve Yangzi. Et la fin de non-recevoir que l’administration impériale chinoise leur opposa fournit un prétexte originel à une Seconde guerre de l’opium de laquelle les armées impériales françaises et britanniques sortirent vainqueures. Elles conclurent de cette manière la Première convention de Pékin leur donnant accès à onze ports chinois, au commerce de l’opium et à l’établissement de délégations permanentes. La boîte de Pandore était dès lors ouverte.

Ces aliénations ne faisaient effectivement qu’accroître une hostilité manifeste la décennie précédente pendant la révolte des Taiping. Ce soulèvement servit d’ailleurs à de nouvelles prétentions coloniales après que le «Shanghai Foreign Arms Corps» l’eut écrasée dans le port de Shanghai. Aussi, ces continuelles brimades faisaient progressivement émerger un idéal de décolonisation contre lequel le Second empire français choisit de consolider ses acquis. C’est donc après que le corps expéditionnaire français eût entamé la colonisation de la péninsule indochinoise que l’officier français Prosper Giquel fut chargé de construire l’arsenal naval de Fuzhou dédié à une flotte de guerre chinoise. Toutefois, cette donne fut complètement changée quand la politique isolationniste japonaise du Sakoku fut abandonnée. L’ingénieur Léonce Verny fut alors rapidement dépêché à la construction d’un arsenal naval à Yokosuka qui, malgré un investissement vingt-cinq fois supérieur à l’avant-projet et le maintient de son statut d’entreprise d’État, devait être le modèle de gestion financière des futures entreprises nippones. Désormais, la plupart des puissances industrielles transféraient au Japon un savoir-faire industriel, financier et judiciaire qui s’appuyait sur l’acquisition d’une solide formation théorique diamétralement opposée à l’apprentissage pratique chinois. L’industrialisation japonaise y associant la création d’une monnaie impériale convertible en or ainsi que la rédaction d’un code pénal et d’un code de procédure criminelle par le juriste français Gustave Boissonade.

Mais c’est l’armée qui fit l’objet d’une attention toute particulière. En effet, une seconde mission militaire française mit en place une conscription obligatoire de trois ans à laquelle vint s’ajouter l’école d’officiers de la Gakko Toyama ainsi qu’un arsenal de fabrication d’armes et de munitions. Celui-ci employait jusqu’à deux mille cinq cents ouvriers et toutes les machines y étaient françaises. Les forces navales françaises basées à Saigon et à Yokohama pouvaient dès lors attaquer l’Empire de Chine et s’emparer du Tonkin par le traité d’Hué l’année 1883. Ainsi, lorsque l’Union indochinoise fut fondée, le Japon n’eut plus rien à craindre de la flotte du Fujian et de l’arsenal de Fuzhou détruits par l’armée française. Ces liens franco-japonais furent pourtant consolidés par l’intermédiaire d’une troisième mission militaire. L’ingénieur du génie maritime Émile Bertin, devenu le conseiller particulier de l’empereur japonais Mutsuhito, supervisa la construction des arsenaux navals de Sasebo et de Kure, ainsi que la conception des navires garde-côtes Matsushima, Itsukushima et Hashidate. La guerre sino-japonaise démontra ensuite cette outrageuse supériorité au point que la flotte japonaise put faire la conquête de l’île de Formose et établir son protectorat sur la péninsule coréenne.

En fin de compte, l’armée japonaise paraissait de moins en moins servir les intérêts des coloniaux, même si elle leur prêta une dernière fois main forte lorsqu’ils se retrouvèrent encerclés dans le Quartier des légations à Pékin. En effet, malgré le fait qu’elle ne disposait que d’un accès restreint à sept ports chinois, ses dix-huit navires et ses vingt et un mille soldats y étalèrent toute leur puissance. Cette intervention japonaise trahissait vraisemblablement un désir colonial alors que les avancées territoriales américaines se succédaient de l’autre côté de l’océan Pacifique. Les américains avaient déjà acheté l’Alaska à l’Empire russe et ils allaient bientôt coloniser les îles de Midway et d’Hawaï. Enfin, l’explosion du navire USS Maine dans le port de La Havane leur fournit un motif à la prise des îles Philippines et de Guam au cours d’une guerre de dix semaines contre le Royaume d’Espagne. La conquête de l’Ouest américain, le premier câble télégraphique trans-pacifique et le percement d’un canal à travers l’isthme de Panama prolongeant cette conquête territoriale. Une lutte à distance était donc engagée lorsqu’éclata la Première guerre mondiale. Mais, ralliés à la Triple-entente, les japonais n’eurent aucune difficulté à se saisir des colonies allemandes des îles Mariannes, Marshall, Carolines ou du Shandong chinois. Qui plus est, la République de Chine déchirée entre ses «Seigneurs de la guerre» ne pouvait s’y opposer. Et seule le nationalisme chinois refusait toujours le compromis du traité de Versailles ayant transféré les prérogatives allemandes du Shandong au Japon.

Fantassins japonais pendant la révolte des Boxers

Cette lutte à distance s’intensifia encore quand le traité naval de Washington encouragea la marine japonaise à se moderniser en une flotte aéronavale. Cet accord, initialement conçu pour contrôler l’armement naval, invitait la marine japonaise à répartir différemment le tonnage maximum légal entre ses navires de bataille et ses porte-avions. De ce fait, sa propension à isoler les colonies européennes n’était pas négligeable, d’autant que l’Armée nationale révolutionnaire chinoise (A.N.R.) commençait à revendiquer sa pleine souveraineté sur la République de Chine ; Comme au premier congrès national du Kuomintang où le rassemblement des nationalistes chinois et des communistes scella un accord de coopération avec l’Union Soviétique. À cet égard, l’agent du Komintern, Mikhaïl Borodine, était responsable de l’organisation du Kuomintang et d’autres conseillers soviétiques, tels que Vassili Blücher, fondèrent l’Académie militaire de Huangpu dans laquelle étaient enseignées les stratégies militaires et l’idéologie communiste à plus de sept mille élèves. Toutefois, cette alliance se rompit au Massacre de Shanghai lorsqu’aidée par la triade de la Bande Verte, la seconde division de la 26 ème armée de l’A.N.R. décima les milices ouvrières communistes.

Ce n'est qu'à partir de cet évènement que le nationalisme chinois s’opposa férocement au communisme comme au totalitarisme japonais que colportait la Kōdōha et la Tōseisha. À la faveur de la crise financière Shōwa l’année 1927, ces deux factions militaristes opposées à la démocratie représentative et au libéralisme économique avaient, entre autres, imposé une coopération renforcée entre les zaibatsu. La faillite de plusieurs dizaines de banques japonaises ayant contraint ces zaibatsu à se restructurer autour de quelques-unes. Et ce n’est pas parce qu’il fut fondé à Tokyo que le Parti nationaliste chinois ne comprenait pas ces ambitions japonaises. Du reste, une fois ces réformes financières japonaises achevées, l’incident de Mukden leur donna raison. La destruction d’une voie de la Société japonaise des chemins de fer en Mandchourie du Sud en septembre 1931 fut donc un prétexte à l’expansion japonaise. Les puissances industrielles affaiblies par la Grande Dépression abandonnèrent même si bien la Mandchourie à son sort que l’Empire du Japon pût la déclarer indépendante en tant que Mandchoukouo.

Bref, tout ceci permit au zaibatsu « Compagnie du développement industrielle en Mandchourie », détenu à 50 % par le Mandchoukouo et à 50 % par la société Nissan Motor C° Ltd, d’y mettre en œuvre une industrialisation à marche forcée. La puissance de ce complexe industriel dont l’intégration verticale comprenait des centrales électriques, des fabriques de ciment, des mines de fer, des mines de charbon, des aciéries, des usines de liquéfaction du charbon et des manufactures ferroviaires était sans égale en Asie. Les trois millions de tonnes annuelles de fer et d’acier produites par l’aciérie Shōwa venaient aussi confirmer la tactique des factions militaristes pour leur donner encore un peu plus d’influence. Et, désormais, certaines paraissaient hors de contrôle, puisque des officiers de la marine impériale assassinèrent le premier ministre Tsuyoshi Inukai après une tentative échouée de coup d’État le 26 février 1936 et un attentat manqué contre l’empereur Shōwa.

Il serait, en conséquence, beaucoup trop partial d’expliquer l’expansionnisme japonais en se satisfaisant de la seule idéologie impérialiste. Le lobby militariste prenait vraiment une place démesurée et pas seulement en politique intérieure. Par exemple, le Japon dut se retirer de la Société des Nations, qui refusait de reconnaître le Mandchoukouo, et le haut-commandement s‘opposait continuellement à la tenue de négociations internationales sur le désarmement naval. Les cuirassés de la classe Yamato et les porte-avions de la classe Shōkaku furent mis en chantier à cette époque. En outre, il faut savoir que ce plan d’armement massif s’appuyait sur la doctrine militaire du Nanshin-ron dont l’aspiration à créer un «Nouvel ordre en Asie de l’Est» primait sur l’assistance mutuelle avec les nationaux-socialistes allemands en cas d’attaque soviétique. Ces officiers japonais avaient toute autorité sur les décisions du quartier général impérial et s’ils ne respectèrent aucune des conventions internationales sur la protection des prisonniers de guerre au cours de la Seconde Guerre sino-japonaise, il en était de leur seule responsabilité.

Ces supplices infligés aux populations civiles de Pékin, de Shanghai ou de Nankin eurent quelque influence sur la dénonciation tardive du traité de commerce et de navigation américano-japonais en janvier 1940 ; et ils légitimaient un peu plus le vote du Two-Ocean Navy Act comme l’interdiction des exportations de carburants à l’indice d’octane supérieur à 87 dès juillet 1940. Certes, cet indice restait approprié à l’alimentation du moteur Nakajima Sakae des avions Mitsubishi A6M Zéro ou Nakajima Ki-43, mais les américains limitaient de facto les qualités de l’aéronautique japonaise. Les indices d’octane supérieurs étant réservés à l’aéronautique américaine. En fait, l’armée japonaise misa plus sur la quantité que sur la qualité et, dès le second semestre 1940, elle multiplia par cinq ses importations de carburant américain alors que ses importations d’armes américaines étaient six fois supérieures à la République de Chine. Or, tout ceci n’inquiétait pas plus la communauté internationale que la signature du pacte tripartite Rome-Berlin-Tokyo partageant les continents en zone d’influence. Aucun État n’avait l’intention d’imposer une contrainte déterminante à l’extension de cette «sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale» qui allait s’étendre jusqu’en péninsule indienne. Le gouvernement provisoire de l’Inde libre, l’Armée nationale indienne et, un peu plus tard, la SS Freies Indien Legion (la Schutzstaffel de l’Inde libre), pouvant régulièrement recevoir une aide militaire japonaise. Dans ces territoires, dits «libérés», la propagande s’ingéniait aussi à stigmatiser les anciens colons européens, alors qu’en réalité l’historienne Zhifen Ju estime que les japonais y retinrent en esclavage près de dix millions de civils.


En septembre 1940, consciente de cette vulnérabilité énergétique, l’administration nippone dépêcha tout de même aux Indes néerlandaises son ministère du commerce et de l’industrie pour s’approprier la moitié de la production pétrolière. Ce à quoi l’administration coloniale néerlandaise s’opposa en vain pour proposer de tripler ses exportations. Les japonais interrompirent les négociations la semaine précédant l’attaque du Reich contre l’Union soviétique, puis se détournèrent de la voie diplomatique le mois suivant. Et quand l’État français autorisa les japonais à installer leurs bases militaires au sud de l’Indochine, les autorités américaines et britanniques sentirent l’impériosité du danger. L’invasion des Indes néerlandaises et de la Malaisie britannique aurait signifié la perte des concessions de la Royal Dutch Shell, à savoir 75 % de la production pétrolière mondiale en dehors des États-Unis d’Amérique, ainsi que des trois quarts du caoutchouc mondial. Dès lors, elles s’imposèrent de réagir et, en août 1941, elles bloquèrent les avoirs financiers japonais tout en décrétant un embargo sur leurs exportations pétrolières. La «sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale» se retrouvait comme cela en grand péril et c’est pourquoi elle élabora au plus vite une stratégie d’appropriation des gisements pétroliers asiatiques.

Les japonais anticipèrent que la prise des gisements de la Royal Dutch Shell aux Indes néerlandaises entraînerait une réaction militaire britannique, qu’ils devraient immédiatement annihiler en attaquant simultanément la Malaisie britannique. Et, comme celle-ci leur donnerait la quasi exclusivité de la production mondiale de caoutchouc, elle déclencherait à coup sûr une action militaire américaine ou, au minimum, un blocus naval des Indes néerlandaises à partir des îles Philippines. Finalement, la solution retenue fut d’offrir le commandement de l’offensive à un ancien universitaire d’Harvard : l’amiral Isoroku Yamamoto. Son plan prévoyait d’envahir simultanément la Malaisie britannique et les îles Philippines tout en s’attaquant à la base navale américaine de Pearl Harbor dans l’archipel d’Hawaï. Le rapport déséquilibré des forces maritimes confortait cette option. La marine impériale disposant d’une supériorité numérique sur la marine américaine, quelles que soient les catégories de navires. À ce propos, il faut savoir que les signes de la mise en œuvre de ce plan étaient audibles dès septembre 1941 quand le vice-consul japonais à Hawaï, Takeo Yoshikawa sous le pseudonyme de Morimura, envoya ses rapports au ministère des Affaires étrangères à Tokyo. Il y détaillait le nom, le nombre et la localisation exacte des navires américains à l’amarrage dans la base navale de Pearl Harbor.

Les cryptanalystes américains avaient cependant décodé sa méthode de chiffrement Code 97 et la probabilité d’une attaque japonaise sembla suffisante aux britanniques pour qu’ils expédient le cuirassé HMS Prince of Wales, le croiseur HMS Repulse et quatre destroyers à destination de Singapour. Puis, ce fut au tour de l’administration coloniale des Indes néerlandaises de transférer ses réserves d’or de Batavia à Bombay. Enfin, l’administration britannique instaura l’état d’urgence en Malaisie britannique et le secrétaire d’État à la Guerre américain envoya un préavis de mise en alerte des flottes des Philippines et du Pacifique à Pearl Harbor. De plus, le 6 décembre 1941, un événement trahit les intentions japonaises quand des croiseurs allemands camouflés en navires civils japonais attaquèrent les navires phosphatiers de l’île de Nauru. Car, curieusement, cette attaque préparée à partir des bases japonaises des îles Carolines bloquait les exportations de phosphate à destination des îles australiennes, néo-zélandaises et surtout japonaises. Mais il n’y eut pas lieu de s’interroger très longtemps sur le fait que les japonais se priveraient d’une telle ressource, puisque dès le lendemain, précisément une heure avant l’attaque aérienne au large de Pearl Harbor, le destroyer USS Ward de l’U.S. Navy coulait le sous-marin japonais N°20 Ko-hyoteki.

Carte de l’extension territoriale de l’Empire du Japon
Comme attendu, les japonais attaquèrent simultanément le royaume de Thaïlande, la Malaisie britannique, Hong Kong, les îles Philippines et la base navale américaine de Pearl Harbor à Hawaï. La propagande japonaise fit de cette attaque un succès ; Même si elle avait été lancée en sachant qu’aucuns porte-avions américains ne seraient détruits (l’USS Saratoga était à San Diego, l’USS Lexington sur l’île de Midway et l’USS Enterprise revenait de l’île de Wake), et que les dommages matériels se résumeraient à la destruction de quelques centaines d’avions. La majeure partie des navires touchés était en cours de modernisation. Toutefois, la mort de plus de deux mille quatre cents américains convainquit le Congrès des États-Unis d’Amérique de voter la guerre. Le plan Yamamoto ne servit aussi qu’un court laps de temps les conquêtes japonaises de l’atoll de Wake, des Indes néerlandaises, de la Birmanie britannique ou de Singapour. Car son aéronavale étendait dangereusement son rayon d’action au détriment du renforcement de ses défenses en Asie du Sud-Est, comme le prouvent ses raids aériens contre les bases britanniques de Colombo et de Trinquemalay sur l’île de Ceylan. Dès juin 1942, la défense américaine put donc contre-attaquer sur les îles Midway et inverser le rapport des forces. Cent dix pilotes japonais confirmés, deux cent cinquante avions et quatre porte-avions, dont l’Hiryu commandé par un universitaire de Princeton en la personne de l’amiral Yamaguchi, y périrent. Voilà comment, moins d’un an après son entrée en guerre, l’armée américaine disposait de tous les atouts contre les effectifs inexpérimentés des deux derniers porte-avions japonais à grand rayon d’action.

L’industrie américaine assurait également cette supériorité à travers d’ambitieux projets telles que l’U.S. Synthetic rubber program ou le célèbre projet Manhattan. À cet effet, la Rubber reserve company stocka près d’un million de tonnes de caoutchouc avant que l’industrie américaine ne produise du styrène-butadiène. Cette dernière matière synthétique était obtenue à partir du raffinage de combustible fossile et bénéficiait d’une grande résistance au déchirement, au vieillissement, à l’abrasion, à la traction et à la déformation rémanente à la compression. L’autre innovation majeure de la guerre du Pacifique fut bien sûr le développement des bombes atomiques au sein du projet Manhattan. Celui-ci clôturait une longue évolution scientifique débutée dès l’Antiquité comme en atteste une mosaïque de verres du I er siècle teintée en bleu par le cobalt et en vert par l’uranium. Ces matières radioactives faisaient l’objet d’un usage commun jusqu’au milieu du XIX ème siècle quand le chimiste Eugène-Melchior Péligot isola l’oxyde d’uranium à partir de la pechblende. Mais ce n'est qu'au début du XX ème siècle que, aidé de son assistant Hans Geiger, le physicien Ernest Rutherford identifia son noyau atomique et proposa un principe de mesure de la radioactivité. Toutefois, la connaissance de ce phénomène physique naturel au cours duquel les noyaux atomiques instables se désintègrent spontanément en dégageant de l’énergie sous la forme de rayonnements ionisants qu’ils soient alpha, bêta ou gamma, fut cette autre grande découverte. L’expérimentation montrait qu’une feuille de papier stoppait le rayonnement alpha des noyaux instables de grande masse atomique, tels que l’uranium ou le radium, alors que le rayonnement électromagnétique gamma ne pouvait être atténué que par des matériaux denses. Or, la confusion de ces mêmes rayons gamma avec le neutron, une particule de masse 1 et de charge électrique 0 non sujette aux répulsions électriques, mena à l’identification de celui-ci. Les fondements d’une réaction de fission nucléaire initiée par la pénétration du noyau atomique étaient dès lors posés et la physique expérimentale le comprit immédiatement.

Dès l’année 1934, la chimiste allemande Ida Tacke avisa le public dans l’hebdomadaire «Zeitschrift für angewandte chemie», que le neutron était une particule capable d’éclater le noyau d’uranium. Puis, Enrico Fermi, prix Nobel de Physique l’année 1938, confirma ces dires en démontrant l’existence d’éléments radioactifs produits par les bombardements de neutrons ainsi que les réactions nucléaires initiées par des neutrons lents. De leur côté, les physiciens de l’Institut Kaiser-Wilhelm de Berlin publièrent leurs expériences sur le neutron dans le mensuel scientifique «Naturwissenschaften» et, l’année suivante, les physiciens du Collège de France établirent la possibilité théorique d’une réaction en chaîne. Leurs observations de la fission secondaire des neutrons et leurs mesures du nombre moyen de neutrons libérés lors de la fission du noyau d’uranium confirmaient la faisabilité de la production d’énergie nucléaire. Ce sont du reste ces résultats qui, présentés par la lettre Einstein-Szilard, motivèrent le président des États-Unis d’Amérique Roosevelt à créer un Comité consultatif pour l’uranium. Aussi, dès octobre 1939, cette organisation devait à la fois élaborer une bombe à insertion à l’uranium 235 et une bombe à implosion au plutonium 139.

La réaction en chaîne de la fission nucléaire du noyau d’uranium 235 Le schéma de la bombe à insertion Little Boy
Le schéma de la bombe à implosion Fat Man

Ces deux bombes sont effectivement différentes. D'une part, la bombe à insertion déclenche une réaction de fission nucléaire au moyen d’un simple explosif conventionnel. Son matériau fissile atteint sa masse critique grâce à la projection de deux masses sub-critiques l’une contre l’autre et, par conséquent, sa difficulté technique réside dans l’obtention d’une quantité suffisante de matière fissile. La force centrifuge doit donc utiliser la différence de masse entre l’uranium 235 et 238, puisque la masse critique de l’uranium 235 intervient à quarante-huit kilogrammes et, que le minerai d’uranium se compose à 99,3 % de l’isotope fertile non fissile d’uranium 238 et à 0,7 % de l’isotope fissile d’uranium 235. Cet «enrichissement» parait être la séparation isotopique la plus évidente, du moins en théorie. Le rendement était cependant moyen et d’autres procédés, tels que la séparation électromagnétique, la diffusion gazeuse et la diffusion thermique, furent employés. De cette manière, et sans expérimentation préalable, les autorités américaines parvinrent à mettre au point la bombe à insertion Little Boy dont l’inconvénient majeur était qu’elle ne pouvait enclencher une explosion thermonucléaire.

Le dessin du réacteur nucléaire de la Chicago Pile-1
Car seule l’explosion d’une bombe à implosion était capable d’élever suffisamment la température pour initier le processus de fusion. C’est pourquoi la bombe H se divisera en un étage de fission réservé à une bombe A à implosion et un étage de combustibles de fusion. On imagine facilement que la taille, la forme, la pureté et la composition isotopique du matériau fissile furent déterminantes pour élaborer une telle bombe à implosion. Ainsi dès juin 1942 ces difficultés amenèrent les autorités militaires américaines à construire le réacteur nucléaire Chicago Pile-1 nécessaire à la production du plutonium 239. Sa structure en bois supportait une pile de blocs de graphite, contenant des briquettes d’oxyde d’uranium, qui modérait la réaction en chaîne enclenchée au retrait d’une barre de commande en cadmium. Ce premier réacteur nucléaire artificiel accomplit comme cela une réaction en chaîne auto-entretenue et contrôlée. L’isotope fertile d’uranium 238 s’y transformait en uranium 239 avant de subir une désintégration bêta le changeant en un neptunium 239 qui, finalement, se transmuait en un isotope fissile de plutonium 239. La complexité technique de l’implosion ne s‘arrêtait cependant pas là, puisqu’il fallait aussi rassembler la matière fissile en une boule, puis la comprimer pour augmenter sa densité. Il fallut donc procéder à un essai nucléaire au cours duquel le nuage-champignon de la bombe Gadget s’éleva à douze kilomètres d’altitude.

Une fois cet essai réussi, et bien que les moyens conventionnels de l’armée américaine et de ses alliés soviétiques s’étaient renforcés depuis la conquête des îles Mariannes en août 1944, l’administration américaine ordonna de livrer les bombes atomiques Little Boy et Fat Man sur la plus grande base aérienne au monde : l’île de Tinian. Les États-Unis d’Amérique, le Royaume-Uni et la République de Chine réclamèrent ensuite conjointement la reddition sans condition du Japon et l’abdication de l’empereur. Or, sur ces points, la bombe Little Boy, larguée le 6 août 1945 sur une ville d’Hiroshima jusqu’alors épargnée des bombardements, fut inefficace. Les milliers de victimes auxquelles s’ajoutaient les destructions matérielles ne menèrent pas les militaires japonais à la capitulation. Les vingt kilotonnes de TNT de la bombe Fat Man, larguées à quatre cent soixante-dix mètres d’altitude au dessus de la ville de Nagasaki le 9 août 1945, n’eurent pas plus d'effets. Ces deux largages confirmaient, entre autres, que la bombe atomique n’était pas forcément une puissance absolue, puisqu’ils ne furent ni directement ni entièrement responsable des actes de capitulation du Japon acceptés après l’invasion soviétique de la Mandchourie et de la péninsule coréenne le 2 septembre 1945.




Décolonisation




L’évolution du P.I.B. par habitant aux États-Unis d’Amérique
La chose est maintenant acquise pour un temps : les États-Unis d’Amérique sont le plus puissant État. Le P.I.B. dépasse des niveaux jamais atteints et le $ dicte ses conditions au commerce mondial. Ses fabuleuses réserves d’or exercent un leadership sans pareil sur une seconde mondialisation dont l’Asie continentale semble la priorité. À l’inverse, les mouvements révolutionnaires accablent déjà les puissances coloniales européennes de sorte que quelques États asiatiques (et d’autres africains) accèdent quasi-simultanément à l’indépendance. L’Union indienne (août 1947), le Dominion du Pakistan (août 1947), l’État d’Israël (mai 1948), la République populaire de Chine (R.P.C.) (octobre 1949) et la République d’Indonésie (décembre 1949) en sont autant d’exemples. L’Indian Independance Act 1947 inaugure ce mouvement en partageant l’Empire colonial britannique des Indes entre l’Union indienne à majorité hindoue et le Dominion du Pakistan à majorité musulmane. Mais la République de l’Inde se proclame « souveraine, socialiste, laïque et démocratique », tandis que le Dominion du Pakistan deviendra une République islamique. Cette première indépendance de l’après-guerre illustre du reste bien les chemins sur lesquels s’aventurent ces États nés de l’opposition au colonialisme. En effet, la plupart de ces mouvements indépendantistes engendrent des modèles institutionnels différents des États nations issus des Révolutions de l’Atlantique. Ce seront quelquefois des démocraties, souvent théocratiques, et d’autres fois des régimes autoritaires, parfois communistes.

La fondation d’Israël, notamment en raison du refus du Haut Comité arabe de la résolution 181 de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (O.N.U.) en date du 29 novembre 1947, paraît néanmoins un peu plus complexe. Cette résolution, qui divise la Palestine entre la ville de Jérusalem, un État juif et un État arabe, est d’ailleurs à l’origine de la Guerre civile de 1947-1948. Voilà pourquoi un bref rappel historique peut s’avérer utile. Tout commence lorsque le sionisme, une idéologie contemporaine des nationalismes européens et de l’impérialisme japonais, prôna la création d’un État peuplé de Juifs dans les royaumes antiques de Samarie et de Juda. À cet égard, l’Alliance israélite universelle avait été la première à fonder une école d’agriculture, Mikvé-Israël, à l’est de la ville de Jaffa. Celle-ci faisait figure d’institution émancipatrice dans cet Empire Ottoman où les Juifs, chrétiens et musulmans disposaient des mêmes droits. Mais cette pacifique réussite restait une exception, car l’idée d’un foyer national des Juifs se construisait principalement en réaction aux pogroms de la Russie impériale. Par exemple, les Amants de Sion (Hovevei Zion) s’opposait à l’assimilation des Juifs de Russie jusqu’à créer, avec la bénédiction de l’administration impériale russe, l’«Association d’aide aux agriculteurs et artisans juifs en Syrie et en Palestine» dont les adhérents furent les pionniers de l’implantation Petah Tikva. Puis, le premier Congrès sioniste proclama que «le sionisme visait à établir pour le Peuple juif une patrie reconnue publiquement et légalement en Palestine». Enfin, le second Congrès sioniste affecta un « Fonds réservé à l’acquisition des terres ottomanes».

Mais ce fut surtout la Première Guerre mondiale qui fut l’occasion d’affirmer le sionisme comme force politique, tout particulièrement à travers la déclaration éponyme du secrétaire d’État britannique aux Affaires étrangères, Balfour. Cette déclaration spécifiait que «le gouvernement de Sa Majesté envisagerait favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif et emploierait tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif». L’armée britannique put alors former plusieurs régiments de soldats volontaires juifs, dont le 38 ème. Du coup, à la fin de la Première Guerre mondiale, la conférence de San Remo fixa le sort des provinces arabes de l’Empire ottoman, pendant que la Société des Nations donnait au Royaume-Uni un mandat d’administration de la Palestine à la seule condition de « placer le pays dans des conditions qui permettront l’établissement d’un foyer national juif...de faciliter l’immigration juive et d’encourager l’installation compacte des Juifs sur les terres». Or, au même moment éclatèrent des émeutes à Jérusalem. Les milices d’autodéfense juives créées à partir de la «First Judeans» se regroupèrent autour de l’Histadrout Haganah avant qu’un énième massacre de Juifs à Hébron ne provoque sa scission. D’un côté, une nouvelle organisation, l’Irgoun Zvaï Leoumi, était violemment opposée au partage de la Palestine mandataire et refusait la doctrine «Havlagah» de retenue des armes contre les civils. Tandis que, de l'autre, dès la Grande Révolte arabe de 1936-1939, la Haganah coopérait avec les britanniques au sein du Notrim et du Palmah.

Le plan de partition de la Commission royale pour la Palestine mandataire Cette désunion des sionistes mettait en lumière la graduelle transition d’une partie d’entre eux vers un terrorisme pour lequel l’Irgoun Zvaï Leoumi fut rendue responsable d’une trentaine d’attentats en trois années. Leurs fusillades et leurs bombes dans les lieux publics ayant convaincu les autorités britanniques à revenir sur leurs promesses d’un État juif en Palestine. Les quotas d’immigration imposèrent aussi une telle clandestinité que la population juive doubla dans l’entre-deux-guerres mondiales. Dès lors, tous les moyens semblèrent possibles à certains, si bien qu’au commencement de la II nde Guerre mondiale, l’organisation Lohamei Herut Israël refusa le cessez-le-feu et se sépara de l’Irgoun Zvaï Leoumi pour publier ses «principes de la renaissance». Ceux-ci exigeaient, entre autres, la création d’un Troisième royaume d’Israël «conquit sur les étrangers par le glaive» dans lequel la population se répartirait «entre races combattantes et dominatrices d’une part, et races faibles et dégénérées de l’autre». Une de leur missive adressée à l’ambassade allemande à Ankara offrit même «de prendre une part active à la guerre aux côtés du Reich» en y précisant que «l’évacuation des masses juives de l’Europe ne pourra être rendue possible et totale qu’à travers l’établissement d’un État juif».

Les nationaux-socialistes n’y donnèrent aucune suite, mais une partie des militants de la Haganah la rejetèrent et s’engagèrent contre la Deutsches Afrikakorps. Dix mille soldats Juifs supplémentaires furent alors enrôlés au sein de l’armée britannique et il n’y avait plus d’entraves à ce que les soldats juifs, jusqu’alors dispersés en plusieurs compagnies, se regroupent. Quelques-uns d’entre eux intégrèrent des commandos tels que le Palmah, dont l’unité «Peter Haas» était composée de volontaires allemands spécialisés dans le sabotage et l’infiltration.



Du reste, ce sont ces mêmes commandos que l’on retrouve à l’avant-garde des unités d’élite de la Guerre civile de 1947-1948 dont les armées sionistes sortent victorieuses grâce à la mobilisation générale, aux dons financiers et aux achats d’armes malgré l’embargo. David Ben Gourion pouvant ainsi proclamer l’indépendance de l’État d’Israël le dernier jour d’exercice du mandat britannique sur la Palestine.

Et, quand bien même il ne s’agit pas ici d’une décolonisation classique, l’asymétrie de ces conflits orientaux pourrait avoir inspiré d’autres révolutionnaires tels que ceux de la République populaire de Chine (R.P.C.). Ceux-ci étaient aussi pris dans une longue et âpre lutte où toutes les parties avaient été alternativement alliées ou ennemies. L’invasion soviétique de la Mandchourie et de la péninsule coréenne ayant isolé l’Armée populaire de libération des communistes chinois (A.P.L.) sans aucune aide matérielle étrangère. C’est dire si la corruption de l’Armée nationale révolutionnaire des nationalistes chinois (A.N.L.) fut capitale. L’armement américain, qu’une partie d’entre elle vendit, permit à l’A.P.L. de s’emparer de la Chine du nord, de franchir le Yangzi Jiang en direction du sud et de faire proclamer la R.P.C. le 1er octobre 1949 par le secrétaire général du 7 ème Politburo du Parti communiste chinois Mao Zedong.


Le rôle de l’A.P.L. dans cette décolonisation doublée d’une guerre civile fut prépondérant. C’est pourquoi elle guidera l’évolution de la R.P.C. que ce soit au cours des Campagnes de purification interne ou lors des conflits asiatiques de la guerre froide. C'est du reste le cas moins d'un an plus tard, après la partition de la péninsule coréenne entre la République de Corée et la République populaire démocratique de Corée (R.P.D.C.), lorsque d’incessants incidents de frontière se transforment en un affrontement armé. Alors, certes, l’Union soviétique livre du matériel militaire à la R.P.D.C. et octroit des licences à la R.P.C. pour fabriquer plus de sept cents avions à réaction MiG-15, mais ce sont près de huit cent mille soldats de l’Armée des volontaires du peuple chinois qui attaquent. Ceux-ci, contrés par l’intervention de plus d’un demi million de soldats de dix-sept nationalités différentes sous mandat de l’O.N.U., permettent à L’A.P.L. d’accéder à la place qu'occupait jusqu'alors le Japon, c'est-à-dire au rang de puissance militaire régionale.

Timbre chinois commémorant le rapprochement sino-soviétique

Quant au Japon et à son armée détruite, il reporte ses ambitions sur son économie. La guerre de Corée est pour cela le moment du «miracle économique japonais» ; une période où la production industrielle japonaise dépasse les 50 % d’augmentation annuelle. La logique est la proximité géographique du Japon et qu'il est le seul à disposer d’une industrie capable de produire sans délai le matériel militaire des Nations unies. Le prix de cette lutte contre le communisme étant l’amnistie des criminels de guerre japonais, l’adoucissement de la législation anti-zaibatsu et la suspension du paiement des réparations de guerre. Bref, cette avant-garde de l’économie pacifique servira bientôt un système global dans lequel les délocalisations industrielles exigeront autant des techniques financières que des politiques énergétiques.



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